La mise en place d’un registre des agents étrangers loin de faire l’unanimité

3 janvier 2024
La mise en place d’un registre des agents étrangers loin de faire l’unanimité

Assahafa.com

Depuis plus d’un an, le Canada réfléchit à la création d’un registre des agents étrangers pour lutter contre l’ingérence dans le processus démocratique du pays.

Le gouvernement libéral et même certains fervents partisans de l’idée reconnaissent qu’un registre ne serait qu’un outil parmi d’autres pour empêcher des acteurs hostiles de s’immiscer dans les affaires canadiennes.

D’autres disent qu’une telle mesure n’a pas du tout sa place dans la boîte à outils.

La justification de la création d’un registre vient du fait que les États peuvent se livrer à des ingérences pour faire avancer leurs objectifs politiques et peuvent employer des personnes pour agir en leur nom sans que celles-ci ne révèlent qui ils aident.

Selon certains, exiger de ces personnes qu’elles s’enregistrent officiellement auprès du gouvernement qu’elles tentent d’influencer – sous peine d’amendes, voire de peines de prison en cas de non-respect – peut rendre ces transactions plus visibles au public.

Les allégations d’ingérence chinoise dans les deux dernières élections fédérales – suggestions alimentées par des fuites anonymes dans les médias – ont amplifié les appels en faveur d’un registre.

Pas une panacée

Un registre n’arrêterait peut-être pas tous les intrus, mais il transmettrait le signal que c’est « quelque chose auquel le Canada s’intéresse vivement », a déclaré Cheuk Kwan, coprésident de l’Association de Toronto pour la démocratie en Chine.

« Je crois que c’est le message que nous devons envoyer aux puissances étrangères. »

L’absence actuelle d’un registre canadien « signifie que rien n’est transparent », a-t-il ajouté. « Nous ne savons pas qui fait quoi. »

Vincent Rigby, ancien conseiller à la sécurité nationale et au renseignement du premier ministre Justin Trudeau, voit également l’utilité d’un registre, mais, comme M. Kwan, il prévient que ce ne serait pas une panacée.

« Ces gens qui se livrent à de nombreuses ingérences étrangères le font, par définition, en secret. Et s’ils disent publiquement que je fais ceci ou que je fais cela au nom d’un gouvernement étranger – ils ne le feront pas nécessairement cela », a suggéré M. Rigby, maintenant professeur à l’École Max Bell de politiques publiques de l’Université McGill.

Cependant, on espère que cela aura un effet dissuasif, car s’ils font ces activités et se font prendre, ils en subiront les conséquences. Ce ne sera pas une potion magique qui fera disparaître l’ingérence étrangère. Mais c’est définitivement un pas dans la bonne direction.

 Vincent Rigby, ancien conseiller à la sécurité nationale et au renseignement du premier ministre Justin Trudeau

Les États-Unis et l’Australie, deux des alliés les plus proches du Canada, disposent déjà de tels registres et le Royaume-Uni devrait en créer un cette année.

Des inconvénients « énormes »

Wesley Wark, chercheur principal au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, indique que le Canada fait face à des menaces de la part d’États étrangers hostiles, qui cherchent à intimider les communautés de la diaspora, à voler un savoir-faire technologique précieux et à s’immiscer dans les élections et autres processus démocratiques.

Mais M. Wark, qui a participé à une consultation fédérale sur la création d’un registre, considère la mesure proposée comme un simple « théâtre de sécurité ».

« On ne peut pas utiliser un registre d’influence étrangère pour mettre fin à une influence étrangère malveillante. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionnera », a-t-il soutenu.

Un registre pourrait aider à éduquer le public, à aligner le Canada sur ses alliés et à avoir un effet dissuasif, admet M. Wark.

« Mais les inconvénients sont, je pense, énormes. »

Selon lui, le registre pourrait devenir « un monstre bureaucratique volumineux » et complexe, qui retirerait de l’argent des poches des agences de sécurité enquêtant sur l’influence étrangère illicite et irait à l’encontre des garanties de liberté d’expression de la Charte des droits.

Le sénateur de la Colombie-Britannique Yuen Pau Woo a déclaré lors de la consultation fédérale de l’année dernière qu’un registre ne permettrait pas de traiter les actes flagrants d’ingérence d’un État étranger.

« D’un autre côté, cela étoufferait le débat politique légitime, stigmatiserait certains groupes et favoriserait le repli sur soi », a-t-il déclaré dans un mémoire écrit publié en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Les coûts d’un registre dépasseront de loin ses maigres avantages. Adopter un registre maintenant, c’est céder à la politique de la peur et de la division. Cela aboutira à un Canada plus petit, plus méchant et plus égocentrique. »

M. Kwan n’est pas d’accord. D’après lui, un registre aiderait à réprimer le racisme.

Créer une liste de véritables agents étrangers dissiperait un nuage de suspicion qui pèse sur tous les membres de la communauté chinoise au Canada, a-t-il avancé. « Je pense qu’un registre nous blanchira. »

Des modifications législatives envisagées

Dans l’ensemble, les répondants à la consultation publique étaient favorables à l’établissement de ce registre, mais ils ont souligné la nécessité de clarifier son fonctionnement.

Un résumé fédéral de la consultation indiquait que les participants souhaitaient un registre définissant de manière appropriée qui doit s’inscrire et précisant ce qui relève de la portée des activités couvertes.

Ils ont également exhorté le gouvernement à poursuivre son programme de sensibilisation auprès des communautés exposées au risque d’ingérence étrangère, à consacrer davantage de ressources à l’application des lois contre l’ingérence étrangère et à apporter des amendements législatifs supplémentaires dans le domaine de la sécurité nationale.

Dans cette optique, le gouvernement a annoncé fin novembre une nouvelle consultation publique sur d’éventuelles modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui régit les services de renseignement du Canada, ainsi qu’au Code criminel, à la Loi sur la protection de l’information et à la Loi sur la preuve au Canada.

Selon M. Wark, la dernière consultation fédérale démontre que le gouvernement libéral se rend compte qu’il devrait donner la priorité au renforcement du cadre juridique de la sécurité nationale plutôt qu’à la création d’un registre d’influence.

Ottawa doit également déterminer ce qu’un registre pourrait accomplir, que la législation actuelle régissant les activités de lobbying et les élections fédérales ne peut pas déjà faire, a-t-il ajouté.

« Même si cela paraissait simple lorsqu’ils s’y sont plongés pour la première fois, je pense qu’ils réalisent de plus en plus que ce ne l’est pas. »

Source: La presse

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