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Québec s’attaque à un sujet délicat : l’encadrement juridique des conjoints de fait. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, déposera ce mercredi le deuxième volet très attendu de la réforme du droit de la famille, dans lequel il créera un nouveau régime « d’union parentale » au Québec, la seule province où les couples en union libre ayant des enfants sont plus nombreux que les couples mariés.
Cette nouvelle étape charnière de la réforme du droit de la famille, qui n’a pas été révisé en profondeur depuis 1980, a été entamée après le célèbre jugement Éric c. Lola de la Cour suprême, il y a plus de 10 ans. Elle vise à moderniser le Code civil sur les enjeux de conjugalité, dans le contexte où les conjoints de fait n’ont actuellement aucun droit ni aucune obligation au Québec.
À l’époque, Lola avait contesté le régime québécois pour les conjoints de fait. Elle alléguait que celui-ci était discriminatoire, comparativement aux dispositions prévues pour les gens mariés. Dans un jugement extrêmement serré à cinq juges contre quatre, le plus haut tribunal du pays avait finalement jugé que les dispositions du Code civil n’étaient pas inconstitutionnelles, mais invitait tout de même le législateur québécois à corriger la situation.
Après le jugement, le gouvernement péquiste de Pauline Marois avait créé un comité consultatif présidé par Alain Roy, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal et expert du droit de la famille, qui a remis un rapport colossal de plus de 400 pages en 2015. Les différents partis politiques qui se sont succédé au pouvoir n’avaient pas, à ce jour, mis au jeu la réforme du droit de la famille sur les enjeux de conjugalité, pourtant réclamée par l’ensemble des intervenants juridiques.
Des dispositions « anachroniques »
En 2018, M. Roy – qui agit à titre de conseiller spécial du ministre Simon Jolin-Barrette – avait affirmé à Radio-Canada que le gouvernement libéral de Philippe Couillard avait manqué « de courage » en ne réformant pas le droit de la famille, « incohérent et anachronique ». L’actualité rapportait par ailleurs que le cabinet du premier ministre Couillard avait expliqué à l’époque qu’il n’était pas allé de l’avant parce qu’il ne savait pas « par quel bout prendre ça ».
Dans leur rapport en 2015, M. Roy et les membres de son comité proposaient entre autres au gouvernement d’instaurer un nouveau « régime parental impératif », dans lequel le Code civil reconnaîtrait un « lien juridique horizontal reliant les deux parents l’un à l’autre à compter de la naissance de l’enfant ou du jugement d’adoption, et ce, quel que soit leur statut conjugal ».
Concrètement, ce nouveau régime proposé devait être assorti « de droits et d’obligations réciproques » et de « mécanismes d’application obligatoire visant à assurer aux parents une juste protection contre les effets de l’interdépendance conjugale et familiale pouvant découler de la prise en charge de leur enfant, que ce soit durant leur vie commune, après leur rupture, ou alors même qu’ils n’ont jamais fait vie commune ».
De nouveaux droits et obligations
Concernant les droits et obligations que se devraient deux parents au sein de ce nouveau régime, le comité de M. Roy proposait de soumettre « les parents de l’enfant à l’obligation de fournir durant leur vie commune une contribution aux charges de la famille proportionnelle à leurs facultés respectives », de protéger « la résidence familiale qu’ils habitent » et d’établir « un tout nouveau mécanisme de compensation des désavantages économiques subis par l’un des parents en raison de la prise en charge de l’enfant commun ».
La réforme que déposera Simon Jolin-Barrette ce mercredi pourrait s’inspirer des propositions formulées dans le rapport du comité présidé par Alain Roy, mais elle pourrait également réserver des surprises. Au moment de publier, aucune information n’avait filtré sur le contenu du projet de loi. Au cabinet du ministre, mardi, on a répondu qu’on ne donnerait aucun détail avant le dépôt du projet de loi.
Au cours des dernières semaines, le ministre Simon Jolin-Barrette a rencontré plusieurs intervenants et observateurs du milieu juridique et du droit de la famille afin de solliciter leurs observations, à la veille du dépôt de sa réforme. Plusieurs ont affirmé à La Presse qu’ils attendaient avec impatience de la lire, considérant le caractère inédit de celle-ci.
L’’HISTOIRE JUSQU’ICI
2013
En janvier 2013, dans la cause Éric c. Lola, la Cour suprême du Canada met en lumière l’évolution des différents modèles conjugaux au Québec depuis la dernière réforme du droit de la famille, au début des années 1980, notamment sur le fait que les conjoints de fait ne bénéficient pas de protections légales adaptées à leur réalité en cas de séparation.
2015
En juin 2015, le comité consultatif sur le droit de la famille, présidé par le professeur Alain Roy, dépose son rapport à Québec. Le document compte 82 recommandations sur des sujets variés : le mariage, l’union civile, la filiation, la procréation assistée, etc. La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, ne procédera pas à la réforme avant la fin du mandat du gouvernement Couillard.
2023
Le Parlement adopte le projet de loi 12 sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et visant la protection des enfants nés à la suite d’une agression sexuelle, ainsi que les droits des mères porteuses et des enfants issus d’un projet de grossesse pour autrui. Il s’agit de la conclusion du premier volet de la réforme, qui avait été entamée au cours du premier mandat de la Coalition avenir Québec (CAQ) au pouvoir.
Source: la presse