La péninsule arabique, entre la Chine et les États-Unis

21 juin 2023
La péninsule arabique, entre la Chine et les États-Unis

Assahafa.com

Lors d’une rencontre sur l’avenir de la sécurité au Moyen-Orient organisée à Washington par l’Institut des États arabes du Golfe en avril, le ton était sombre.

Cette région du monde deviendra un endroit de plus en plus chaotique, déplorait notamment Mary Beth Long, ancienne sous-secrétaire américaine à la Défense. Nous ne serons plus le partenaire principal, ajoutait-elle.

Les Américains ont-ils raison de s’inquiéter? La fin du siècle américain est-elle commencée au Moyen-Orient, comme le titrait récemment l’hebdomadaire Newsweek?

Pas tout à fait, estiment les experts de la région.

Les États-Unis et les pays du Golfe sont liés depuis près d’un siècle par un pacte informel pétrole contre sécurité, explique Emma Soubrier, chercheuse àl’Institut de la paix et du développement à l’Université Côte d’Azur. En échange de la garantie de protection des Américains, les pays du Golfe, particulièrement l’Arabie saoudite, assurent un flot de pétrole à bas coût aux États-Unis, ajoute-t-elle.

Cette entente aurait été scellée le 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy, dans le canal de Suez, lors d’une rencontre entre le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite, et Franklin Roosevelt, qui était à ce moment-là président des États-Unis.

Le pacte de Quincy a tenu pendant des décennies. Mais il semble de moins en moins solide.

Les tensions sont devenues évidentes l’automne dernier, lorsque l’OPEP+ (les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole menés par l’Arabie saoudite et leurs 10 partenaires conduits par la Russie) a décidé de sabrer ses quotas de production, entraînant ainsi les cours à la hausse.

Un véritable camouflet pour Joe Biden qui, ravalant ses principes à la suite de l’assassinat de Jamal Khashoggi, s’était rendu en juillet à Djeddah pour convaincre le royaume d’augmenter sa production.

Des tensions en augmentation

Le désaccord n’est toutefois pas nouveau, observe Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et au Middle East Institute de Singapour. Depuis des années, les dirigeants de la région observent avec suspicion les politiques américaines. Les printemps arabes ont fortement renforcé l’impression que les États-Unis abandonnaient leurs alliés traditionnels.

« Il y a une profonde méfiance des régimes du Golfe, avec l’idée que les États-Unis ne sont plus aussi forts qu’ils ont pu l’être pendant le moment unipolaire, de 1991 à 2011, et que s’ils ont un problème, les États-Unis ne viendront pas à leur rescousse. »

 

 

 

 

 

 

Les uns après les autres, les pays du Golfe ont commencé à prendre leurs distances vis-à-vis des États-Unis.

C’est tout naturellement que leurs regards se sont tournés vers une autre grande puissance, la Chine.

Les relations commerciales entre Pékin et les pays du Golfe sont en pleine croissance. En 2021, le commerce entre les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et la Chine a dépassé le commerce du CCG avec les États-Unis et l’Europe.

En décembre 2022, le président chinois, Xi Jinping, s’est rendu à Riyad pour participer au sommet Chine-CCG et y signer une série d’ententes portant sur des enjeux économiques, mais aussi politiques et sécuritaires.

À partir du moment où Xi Jinping a mis en place son projet des routes de la soie, il y a eu une vraie dynamique de rapprochement de la part des pays de Golfe, remarque M. Samaan, joint à Singapour.

À l’été 2018, le président Xi a visité Abou Dhabi et a conclu des ententes pour renforcer la coopération avec les Émirats dans le domaine militaire, notamment les achats de drones et de missiles balistiques.

Même si les armes et la coopération militaire ne sont pas au cœur des partenariats entre la Chine et les pays du Golfe, il y a quand même des aspects de sécurité en jeu, estime Emma Soubrier.

À cela s’ajoute le fait que l’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis sont en voie de se joindre à l’Organisation de coopération de Shanghai, une union politique et de sécurité couvrant une grande partie de l’Eurasie, y compris la Chine, l’Inde et la Russie.

Selon les Américains, cette organisation est une plateforme qu’utilise la Chine pour projeter son pouvoir et son influence au-delà de ses frontières.

Tout cela en inquiète plusieurs à Washington, qui ont l’impression que Pékin est en train de leur damer le pion auprès de leurs alliés arabes.

Cependant, la Chine n’a nullement l’intention de ravir la place des États-Unis, soutient Emma Soubrier. Non seulement la Chine n’en a pas les moyens, mais je ne suis pas persuadée que ce soit son ambition, note-t-elle.

Les liens entre la Chine et les pays du Golfe sont principalement commerciaux, rappelle-t-elle. On est très loin de la mise en place de partenariats qui reposent quasi exclusivement sur des garanties de sécurité.

Le développement de cette relation correspond avant tout à une dynamique interne à ces pays et aux transitions qu’ils sont en train de vivre alors qu’ils essaient de se réinventer et de diversifier leurs économies.

Préparer l’après-pétrole

Ce sont d’abord le Qatar et les Émirats arabes unis qui, dès 2008, ont lancé des stratégies pour développer et moderniser leurs pays.

L’Arabie saoudite, longtemps restée en retrait, a changé de cap avec l’arrivée aux commandes de Mohammed ben Salmane, en 2017.

Le prince héritier a décidé de suivre la méthode de ses voisins, qui ont réussi à placer ces deux plus petits États sur la carte non seulement de la région, mais du monde, remarque Emma Soubrier.

« Il y a une ambition de Mohammed ben Salmane de consolider sa position comme étant le nouvel homme fort du royaume et d’asseoir la position de l’Arabie saoudite comme pôle régional. »

— Une citation de  Emma Soubrier, chercheuse à l’Institut de la paix et du développement, à l’Université Côte d’Azur

Une analyse partagée par Robert Mogielnicki, chercheur à l’Institut des États arabes du Golfe, joint à Washington.

Cette nouvelle politique étrangère saoudienne dopée aux stéroïdes ne met plus l’accent sur des démêlés épineux et coûteux, comme la guerre au Yémen, mais cherche plutôt des moyens pour que Mohammed ben Salmane apparaisse comme un homme d’État, remarque M. Mogielnicki.

Son objectif, souligne M. Mogielnicki, est d’attirer les investissements directs étrangers, les entreprises multinationales et les touristes.

Cela passe par des changements majeurs aux structures sociales et économiques du pays, mais aussi par une redéfinition de la réputation de l’Arabie saoudite sur la scène mondiale.

C’est justement pour cela que l’on voit le royaume tenter d’organiser des événements sportifs majeurs, d’amener des vedettes du soccer et de parrainer des ligues en dehors du pays.

C’est aussi The Line, un projet de ville écologique et ultramoderne que le prince prévoit bâtir dans le désert d’ici 2029 pour y accueillir les Jeux asiatiques d’hiver.

« Tout cela fait partie de cette stratégie visant à faire de l’Arabie saoudite une destination attrayante pour un public mondial. »

— Une citation de  Robert Mogielnicki, chercheur à l’Institut des États arabes du Golfe, à Washington

Il est clair pour les Saoudiens que le moment où les États-Unis dominaient le monde est révolu.

Le calcul, même s’il n’est pas articulé de cette façon à Riyad, c’est qu’ils ne vont rien faire qui puisse nuire à leur partenariat avec les États-Unis, mais qu’ils ne vont pas non se plier aux exigences des Américains si cela risque de réduire leur capacité à développer des partenariats avec d’autres pays, estime le chercheur.

Emma Soubrier, pour sa part, affirme qu’il ne faut pas se fier au jusqu’au-boutisme des discours des uns et des autres. La réalité est beaucoup plus nuancée, croit-elle, et les Américains sont là pour encore longtemps.

« Personne n’envisage sérieusement un retrait complet de la présence américaine et des garanties de sécurité américaines dans la région. »

— Une citation de  Emma Soubrier, chercheuse à l’Institut de la paix et du développement, à l’Université Côte d’Azur

Mais, dorénavant, les pétromonarchies veulent tracer leur propre voie.

Source: Radio Canada

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