l’UE doit sortir de la logique du professeur et de l’élève » estime Nasser Bourita

24 février 2021
l’UE doit sortir de la logique du professeur et de l’élève » estime Nasser Bourita

Assahafa.com

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, est d’avis que la récente communication de la Commission européenne sur le partenariat avec les pays du voisinage sud jette les bases d’une nouvelle relation post-Covid-19 entre l’Union européenne et le Maroc (EUROPE B12654A8). Il demande aux Européens de ne pas prendre de décisions qui touchent la rive sud de la Méditerranée sans concertation préalable. Et d’exhorter l’UE à prendre le train menant à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. (propos recueillis par Mathieu Bion)

Agence Europe – Où en est la campagne de vaccination contre la Covid-19 au Maroc ?

Nasser Bourita – La campagne de vaccination s’inscrit dans une démarche globale de gestion de la pandémie initiée par Sa Majesté le Roi.
Les premières discussions sur le vaccin ont été entamées en avril 2020 et le Maroc a signé les premiers documents relatifs au vaccin en août. Le travail préparatoire a commencé dès fin octobre. Depuis la réception des premières doses, en janvier 2021, près 2,5 millions de personnes ont été vaccinées.

Le Maroc est dans le top 6 au niveau international.
Quels vaccins sont administrés ?

Nous utilisons les vaccins d’AstraZeneca et de Sinopharm sur la base d’avis du comité scientifique national et de l’OMS. Pour Sinopharm, le Maroc a également participé aux essais cliniques à travers un échantillon de 600 personnes à qui le vaccin a été administré.

Avez-vous connu, comme en Europe, des retards de livraison ?

L’accès au vaccin est une problématique internationale. La demande est largement supérieure à la capacité de production.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de difficultés, mais, jusqu’à présent, l’approvisionnement se fait normalement.

Comment l’aide bilatérale européenne a-t-elle été utilisée pour lutter contre la pandémie ?

L’Union européenne a été parmi les premiers partenaires à soutenir le Maroc.
450 millions ont été versés dans le Fonds spécial anti-Covid-19. Il s’agit d’une réallocation de ressources qui étaient destinées à différents projets et programmes bilatéraux. L’argent a concerné l’accès aux équipements de protection et le soutien aux entreprises.
Le vaccin est financé à 100% par le budget de l’État marocain et il sera gratuit.
Le Maroc est le pays qui a donné le plus à l’Afrique pendant cette période, puisque du matériel de protection a été livré à plus d’une vingtaine de pays africains.
L’Afrique a fait preuve de résilience. Son effondrement, que certains prédisaient, n’a pas eu lieu, au contraire.

La récente communication sur le partenariat avec le voisinage sud pose-t-elle les bases d’une nouvelle relation avec l’UE ?

La pandémie interpelle le partenariat Maroc/UE pour se projeter dans l’après-Covid-19. Et l’après-Covid-19, ce n’est pas que du voisinage, une coopération classique, quoique très fructueuse.
La récente communication de la Commission est pertinente pour son ‘timing’ et novatrice par son approche.
Le commissaire européen Várhelyi et l’UE en général ont fait un effort pour consulter les pays concernés avant la finalisation de la communication. Avant, on la découvrait avec les médias. Là, nous avons eu plusieurs séances pour partager nos aspirations, nos interrogations.

Troisièmement, le contenu de la communication nous conforte dans la démarche globale. En juin 2019, le Maroc et l’UE se sont mis d’accord sur quatre axes de coopération qui sont, aujourd’hui, très pertinents (EUROPE B12284A1).

Dans 7 des 12 projets phares proposés, notamment le Fonds Mohammed VI pour les investissements stratégiques, les énergies renouvelables, l’agriculture durable, la protection sociale, le Maroc sent une convergence entre les priorités nationales et les priorités que l’UE veut donner dans ses relations avec le voisinage.
L’intérêt, c’est aussi que nous sortions de l’intergouvernemental.
L’UE a officiellement déclaré (lundi 22 février) que le Maroc avait rempli ses engagements en matière de coopération fiscale (EUROPE B12663A28). Quelles mesures ont été prises ?

La gestion de cette affaire mérite une réflexion. Il y a les bons côtés et les moins bons côtés.

Le Maroc a, dès le départ, considéré que le dialogue doit être la base de la gestion des dossiers sensibles entre les deux partenaires et que l’UE, avec ce genre de liste, devrait tenir compte de la globalité du partenariat. L’UE ne peut pas établir des critères et dire : ‘On les utilise pour les Îles Caïmans, on les utilise pour le Maroc’.
Si le voisinage sud est important, il ne doit pas subir les conséquences de décisions prises par l’UE. Les pays du sud de la Méditerranée doivent être associés, pas à la décision, mais au moins à la réflexion.
Deuxième leçon : le Maroc a demandé à l’UE de sortir de cette logique du professeur et de l’élève et de rentrer dans une logique de concertation où chacun comprend les soucis de l’autre pour arriver à des solutions qui pourraient satisfaire les intérêts de l’Europe sans faire dommage aux intérêts du Maroc.

Le résultat est bon, mais le point de départ a suscité d’énormes interrogations de la part du Maroc.
Que dire du retrait du Maroc d’une autre liste, celle des pays tiers dont les ressortissants peuvent effectuer des voyages non essentiels dans l’UE (EUROPE B12544A8) ?

Lorsque cela est basé sur des critères sanitaires, les critères peuvent être décidés de façon souveraine. Mais après, un effort d’explication est nécessaire, notamment vis-à-vis des voisins directs.
Le passage par le Maroc concerne des Marocains, mais aussi énormément de Subsahariens pour qui le Maroc est la porte d’entrée vers l’Europe.
Le Pacte ‘asile et la migration’ répond-il à vos attentes alors qu’on observe une recrudescence des arrivées irrégulières de migrants dans les îles Canaries (EUROPE B12566A1) ?

Toute démarche qui cherche à trouver les coupables plutôt que les solutions est une mauvaise piste. La migration est un phénomène naturel entre les deux rives.

Comment la canaliser ? Comment lutter contre le trafic des êtres humains et ses réseaux ?

L’approche devrait être concertée pour trouver une solution à un défi commun, pas destinée au ‘name and shame’.
La solution de facilité est de tout mettre sur le dos des pays de transit parce que régler le problème à l’origine semble difficile et parce que, dans les pays d’accueil, il y a une pression politicienne telle que personne ne veut assumer une discussion sereine, lucide sur le phénomène migratoire.
Donc, la culpabilisation excessive des pays de transit est une mauvaise piste.

Ressentez-vous cela dans l’attitude de l’UE ?

On a vu plusieurs propositions dans le passé, sur les centres d’identification ‘hotspots’ (EUROPE B11838A3). Le Maroc le redit : il assume ses responsabilités, mais ne jouera jamais le gendarme, parce que ce n’est pas sa vocation, sa conviction.

Le Maroc considère que le phénomène migratoire est exagéré pour des raisons plutôt politiciennes qu’objectives. Les chiffres démontrent que la migration africaine vers l’Europe est minoritaire : c’est moins d’une personne sur dix.
En coordination notamment avec l’Espagne, le Maroc mène des opérations de lutte contre les réseaux de trafic qui ne se trouvent pas nécessairement de ce côté-ci de la rive méditerranéenne. Le nombre de réseaux démantelés est énorme.
Et l’effort sécuritaire et matériel déployé par le Maroc vise à garantir que la route ‘ouest’ de la migration soit la moins utilisée, même si c’est la route la plus évidente comparée aux routes ‘centrale’ et ‘est’.
Fin 2020, les États-Unis, sous l’administration Trump, ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Quels signaux recevez-vous de l’administration Biden sur cette question ? Des pays de l’UE pourraient-ils suivre le mouvement en ouvrant eux aussi des consulats sur place ?

S’il y avait une décision prise par la France, je ne sais pas si vous diriez : ‘Le président Sarkozy ou Hollande a fait ceci…’. Ce sont des positions de pays.
C’est une évolution naturelle de la position américaine qui, depuis 2007, considère l’initiative d’autonomie marocaine comme une base sérieuse et réaliste pour trouver une solution définitive à ce différend régional. Et lorsqu’on dit autonomie, je ne pense pas qu’il y ait autonomie en dehors d’une souveraineté.
Cette position renforce les chances d’une solution définitive. Le Maroc est prêt à s’engager dans un tel processus, sous l’égide des Nations Unies, pour trouver une solution dans le cadre de son initiative d’autonomie à la question du Sahara.
Fin janvier, 42 pays ont soutenu cette démarche. Ce n’est pas une position isolée, mais une tendance au niveau de la Communauté internationale.

Il suffit que l’Europe sorte de sa zone de confort et soutienne cette tendance internationale.

En soutenant le processus onusien, l’UE demeure-t-elle dans sa zone de confort ?

Le processus a tourné en rond pendant des années. Aujourd’hui, une orientation émerge et c’est cette orientation-là que l’UE doit épouser également.
L’Europe a besoin d’une zone sahélo-saharienne stable et sécurisée. Ces vœux peuvent rester pieux s’il n’y a pas d’engagement. Aujourd’hui, le train va partir. L’Europe va-t-elle rester passive ou contribuer à cette dynamique ?

Qu’en est-il du contentieux à répétition auprès de la Cour de justice de l’UE et lié aux accords entre l’UE et le Maroc ?

C’est de la guérilla, ce n’est pas de la stratégie.
Si l’Europe croit au partenariat entre le Maroc et l’UE, l’Europe doit être consciente que ce partenariat a des ennemis. C’est à l’Europe de réagir à ce harcèlement judiciaire.

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