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Pour s’affranchir de la dépendance énergétique aux États-Unis, des politiciens, dont le premier ministre du Québec, François Legault, se disent désormais ouverts à des projets de gazoducs dans l’est du pays. Mais y a-t-il réellement un marché outre-mer pour le gaz naturel canadien?
Ce n’est pas l’avis d’Investisseurs pour l’Accord de Paris, un organisme qui fait pression pour que les entreprises cotées en bourse respectent leurs promesses de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Bien que le transport du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Atlantique laisse miroiter la promesse de diversifier les marchés où le Canada exporte ses ressources fossiles, cette solution risque de ne pas être économiquement viable, indique l’organisation dans un nouveau rapport paru jeudi.
L’idée de relancer des chantiers autrefois abandonnés – comme GNL Québec, au Saguenay – a refait surface au cours de la campagne fédérale, en réponse aux tarifs douaniers imposés par l’administration Trump sur le pétrole et le gaz canadiens.
Et elle a continué de faire son chemin une fois les élections passées, le premier ministre Legault jugeant notamment que la population québécoise y était plus favorable que par le passé.
On remarque toutefois dans le débat public qu’il y a une sorte d’inadéquation entre certains discours [en faveur de ces projets de GNL] et l’environnement économique réel
, observe Renaud Gignac, économiste et conseiller principal au sein de l’organisme.
Des marchés incertains
Si les projets de GNL qui voient le jour dans l’Ouest visent des marchés en Asie, l’Europe est davantage évoquée pour justifier l’exportation des ressources à partir de la côte est.
Or, l’Union européenne a réduit sa demande de gaz naturel de 18 %, de 2022 à 2024.
À la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a adopté en 2022 le plan RePowerEU pour se sevrer du gaz russe
, explique Renaud Gignac. Ce programme, assorti d’un budget de 300 milliards d’euros (plus de 470 milliards $ CA), a permis à l’Europe de réduire ses importations de GNL en provenance de la Russie.
Parallèlement, des mesures adoptées au sein de l’UE pour développer les énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, et encourager l’installation de thermopompes ont permis de faire baisser la consommation de gaz naturel.
Cette tendance à la baisse devrait se poursuivre au cours des prochaines années et se traduire par une diminution des importations, selon l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie.
Dans ce contexte, les perspectives pour les nouveaux fournisseurs de GNL sur les marchés européens semblent incertaines
, indique le rapport d’Investisseurs pour l’Accord de Paris.
En 2023, toutes les exportations de gaz naturel canadien ont pris le chemin des États-Unis et ont totalisé 13 milliards de dollars, selon la Régie de l’énergie du Canada.
Le portrait n’est pas plus favorable du côté de l’Asie, où les marchés sont déjà géographiquement plus éloignés de la côte est du pays.
L’Asie représente 73,2 % des achats mondiaux de GNL et joue donc un rôle déterminant dans l’évolution de la tendance mondiale en matière de demande.
Toutefois, il y a d’autres fournisseurs de plus grande proximité qui peuvent approvisionner – et qui approvisionnent déjà – l’Asie à un coût moindre que ce que pourrait faire le Canada via la côte est
, résume M. Gignac.
L’Inde, par exemple, a passé des contrats à long terme pour être majoritairement approvisionnée par le Qatar, l’un des plus grands producteurs de gaz du monde.
Des pays comme le Japon et la Corée du Sud ont pour leur part préféré augmenter la production d’énergie nucléaire, tandis que la Chine a mis en place un bouquet de mesures incitatives […] afin de stimuler sa production nationale de gaz
, cite aussi le rapport.
Surplus de gaz naturel en vue
Ceux qui se trouvent déjà dans le palmarès des plus importants exportateurs de GNL de la planète ont en outre une longueur d’avance non négligeable sur le Canada. D’ici à ce que les projets soient approuvés et que les gazoducs et terminaux soient construits ici, ces concurrents auront déjà fait l’essentiel du travail.
Le Canada est sur le point de devenir exportateur de GNL pour la première fois au moment où d’autres pays s’apprêtent à augmenter considérablement leur propre capacité d’exportation de GNL.
Face à une vague sans précédent
de nouveaux projets de GNL dans la dernière décennie, l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis prévoit une hausse de 40 % de l’offre en gaz naturel d’ici 2028.
Les États-Unis, qui ont connu un déploiement fulgurant de leurs capacités de production de GNL, évaluent qu’ils pourraient augmenter leurs exportations de 152 % d’ici 2050.
Or, l’Agence internationale de l’énergie estime que les besoins à long terme seront moins importants que ce que les joueurs actuels seront en mesure de produire.
La demande ne suivra pas, souligne M. Gignac. On se retrouvera donc en situation d’offre excédentaire, ce qui met la rentabilité de nouveaux projets à risque.
S’il revient aux opérateurs d’évaluer l’ensemble des risques et de considérer si la demande est suffisante, Yvan Cliche, spécialiste en énergies au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), rappelle de son côté que la venue du Canada pourrait dynamiser un marché dominé par une poignée de pays.
C’est quand même un marché relativement concentré, avec trois grands joueurs, où les États-Unis sont passés d’une façon extrêmement spectaculaire de zéro exportation en 2016 à la domination aujourd’hui, faisait-il remarquer à la fin mars. Ils ont dépassé le Qatar et l’Australie.
Alors pour un acheteur, c’est préférable d’avoir une palette de fournisseurs pour faire jouer la concurrence et garantir une plus grande fiabilité d’approvisionnement
, selon M. Cliche.
Ralentir la transition énergétique
Depuis l’abandon du projet par le gouvernement Legault, les investisseurs se sont faits discrets. Si on avait une opportunité d’affaires basée sur des données crédibles, on aurait des investisseurs qui lèveraient la main pour réaliser ce genre de projet, présume Renaud Gignac. Or, aucun ne s’est manifesté depuis 2021.
Ces chantiers voient souvent leur facture gonfler en cours de route, ajoute l’économiste, qui rappelle que le gazoduc de 750 km, l’usine de liquéfaction et le terminal d’exportation du projet GNL Québec devaient initialement coûter 13,7 milliards de dollars.
En appliquant les facteurs de dépassement de coûts observés lors de projets énergétiques canadiens récents, le coût réel de GNL Québec pourrait s’élever au double de cette estimation, soit plus de 33 milliards en dollars de 2025
, d’après le rapport.
L’expérience a démontré que ces projets nécessitent aussi des milliards de dollars d’investissements publics – des sommes qui auraient pu profiter à des secteurs dont les prévisions de croissance étaient plus importantes, selon Investisseurs pour l’Accord de Paris.
L’approche pragmatique, ce n’est pas d’augmenter la dépendance de l’économie envers une ressource qui est volatile.
Au lieu d’injecter des fonds dans des projets qui perpétuent le recours aux énergies fossiles, les décideurs devraient prioriser le chantier des minéraux critiques, l’intégration d’un vaste réseau électrique d’ouest en est ou encore la conception d’un train à grande vitesse pour relier Québec et Toronto, selon Investisseurs pour l’Accord de Paris.
Si on est pour utiliser des fonds publics, choisissons les projets qui ont un réel avenir, une réelle rentabilité et qui sont alignés avec nos engagements environnementaux
, plaide M. Gignac.
Source: Radio Canada