Eau, responsabilité et déni : l’impasse Akhannouch

11 septembre 2025
Eau, responsabilité et déni : l’impasse Akhannouch

Assahafa.com

À une année des élections législatives, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a choisi de se présenter devant la télévision nationale pour dresser le bilan de son action. Au cœur de son propos : la question cruciale de l’eau. Il a affirmé avoir hérité d’une «crise grave», décrivant une situation où Casablanca et Rabat risquaient de perdre leur approvisionnement en eau potable quelques mois seulement après son arrivée à la primature, en raison d’une absence prolongée de projets structurants, notamment en matière de dessalement.

Cette rhétorique, en apparence défensive, recèle une contradiction majeure. Akhannouch n’est pas un acteur fraîchement parachuté aux responsabilités : il a été ministre de l’Agriculture, de la Pêche et du Développement rural durant quatorze années consécutives (oui, 14 ans !), sous quatre gouvernements successifs. Son portefeuille englobait précisément les politiques rurales et hydriques, ainsi que la gestion du fonds de développement rural, véritable levier stratégique pour la préparation des territoires aux défis climatiques. À cela s’ajoute sa position de chef du RNI depuis 2016, parti central des coalitions gouvernementales de la dernière décennie. Autrement dit, il n’était pas seulement spectateur, mais bien acteur de premier plan de l’orientation des politiques publiques.

Or, en se réfugiant derrière l’argument de «l’héritage lourd», Akhannouch pratique un double effacement : effacement de sa propre trajectoire et effacement de la responsabilité collective des gouvernements dont il était pilier. Cette opération rhétorique vise à transférer la charge politique sur des mandats passés comme s’il n’en avait pas été partie prenante, alors que les faits sont têtus. Quatorze années au pouvoir ne peuvent se dissoudre dans une formule commode de victimisation institutionnelle.

La fuite en avant se double d’une insistance sur la «transparence» des appels d’offres, notamment celui relatif à la station de dessalement de Casablanca, attribué à un consortium maroco-espagnol. Mais ce discours se heurte à un soupçon persistant : la proximité entre décisions publiques et intérêts privés dans un secteur aussi stratégique que l’eau. Le fait que le chef du gouvernement soit lui-même l’un des plus grands opérateurs économiques du pays rend d’autant plus impératif un examen public rigoureux. L’invocation de la régularité procédurale ne suffit pas : seule la publication intégrale des documents contractuels, le suivi indépendant des financements et un audit transparent des choix antérieurs peuvent restaurer la confiance.

Politiquement, cette stratégie révèle une gouvernance fondée sur le déni de responsabilité et la réécriture des faits. Elle illustre une tendance plus large du système : transformer des échecs structurels en héritages abstraits, tout en neutralisant le débat démocratique par des annonces spectaculaires et des promesses d’infrastructures futures. Mais gouverner, ce n’est pas seulement inaugurer de nouveaux chantiers ; c’est aussi répondre de l’absence de décision hier. La mémoire publique ne peut être réduite à un exercice de communication.

L’affaire du dessalement, au-delà de sa dimension technique, devient ainsi un révélateur : révélateur de la manière dont l’État gère la rareté, révélateur du rapport ambigu entre sphère politique et intérêts privés, révélateur enfin de la tentation permanente d’éluder le temps long de la responsabilité. En cela, elle dépasse le seul dossier de l’eau pour interroger le contrat de confiance entre les gouvernants et la société.

𝐀𝐛𝐝𝐞𝐫𝐫𝐚𝐡𝐦𝐚𝐧𝐞 𝐀𝐃𝐑𝐀𝐎𝐔𝐈

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