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Alors que l’échéance du 1er août pour trouver une entente commerciale avec Donald Trump approche et que le flou subsiste sur les éléments négociés, des producteurs laitiers américains insistent sur le fait qu’ils ne souhaitent pas que le Canada démantèle son système de gestion de l’offre.
Ils disent plutôt souhaiter que le Canada respecte l’esprit de l’accord existant qui régit le commerce des produits laitiers entre les deux pays.
Si le président américain Donald Trump a qualifié à plusieurs reprises le système de gestion de l’offre sur les produits laitiers d’injuste
et d’arnaque
, des représentants de l’industrie laitière américaine disent plutôt s’inquiéter de fausses déclarations du côté canadien qui créent, selon eux, une fausse perception de ce qu’ils cherchent réellement à obtenir en ce qui a trait à l’accès au marché canadien.
Nous n’avons jamais cherché à éliminer la gestion de l’offre au Canada
, a déclaré à CBC Shawna Morris, vice-présidente de la National Milk Producers Federation et du US Dairy Export Council.
Il est beaucoup plus facile de créer un épouvantail et de semer la peur en prétendant que c’est l’objectif des Américains, mais ce n’est certainement pas ce que notre industrie a préconisé.
Gestion de l’offre 101
Au Canada, un système à trois piliers régit la production de lait, d’œufs et de volailles depuis plus de 50 ans. D’abord, en instaurant des quotas de production à l’échelle du pays pour éviter les surplus. Ensuite, en offrant aux producteurs des prix garantis suffisamment élevés pour leur assurer des revenus décents. Et finalement, en contrôlant le volume des importations (par des quotas d’importation) pour éviter le dumping de la part d’autres pays voulant écouler leurs surplus.
Interrogé par Radio-Canada sur ces propos, l’agroéconomiste et professeur à l’Université Laval Maurice Doyon confirme cette affirmation, mais il a tenu à ajouter quelques nuances. Il précise tout d’abord que Mme Morris ne représente pas la position de toute l’industrie laitière américaine, et que certains groupes de producteurs semblent nettement plus agressifs.
Mais surtout, il précise que dans l’histoire des négociations commerciales, les positions politiques vont parfois au-delà des demandes de l’industrie. Il est donc tout à fait légitime que le Canada se questionne après les propos répétés de Donald Trump depuis 2018 au sujet de la gestion de l’offre
, affirme M. Doyon.
Le professeur Doyon admet toutefois que les propos de Mme Morris reflètent bien les irritants exprimés par les Américains, dont ces deux points :
- la façon dont Ottawa répartit les quotas d’importation de produits laitiers américains;
- les exportations canadiennes de protéines laitières bon marché à l’international.
Les quotas d’importation négociés dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) donnent aux producteurs américains un accès sans droits de douane totalisant environ 3,5 % de la demande intérieure canadienne en produits laitiers.
Dans le cadre de cet accord, le Canada peut fixer des quotas d’importation pour une quinzaine de catégories de produits laitiers. Les produits américains entrent sans payer de droits de douane jusqu’à l’atteinte du quota. Toute importation dépassant ce quota est frappée de droits de douane exorbitants, atteignant 200 % ou plus.
Le Canada justifie ces quotas par le fait qu’il souhaite assurer la prospérité de son industrie laitière nationale en limitant les importations au pays. Par exemple, puisque le gouvernement américain subventionne généreusement son secteur laitier, les produits américains – moins chers – risqueraient de dominer le marché canadien.
Ce qui déplait aux États-Unis, c’est qu’une grande partie de ces quotas est allouée à de grandes entreprises canadiennes de transformation laitière, comme Saputo et Agropur, qui sont en quelque sorte en conflits d’intérêts. Des analystes du secteur affirment que ces entreprises canadiennes seraient en effet peu enclines à importer des produits américains qui concurrencent les leurs.
Résultat, les limites des quotas ne sont presque jamais atteintes dans les catégories de produits laitiers visés, comme le montrent les statistiques canadiennes (nouvelle fenêtre). Par exemple, il n’y a que 12 % des quotas d’importation de yogourt américain qui ont été utilisés. Du côté de la margarine, c’est 43 %.
De quoi déplaire à Becky Rasdall Vargas, vice-présidente de l’Association internationale des produits laitiers, qui affirme que ses membres se sentent ignorés par le Canada en ce qui concerne nos préoccupations commerciales légitimes
.
Le professeur Maurice Doyon confirme que ces quotas ne sont pas pleinement utilisés
, mais il croit que c’est principalement dû à des raisons économiques – certains produits laitiers n’étant pas très rentables à exporter
– mais aussi réputationnelles pour les importateurs canadiens : dans le contexte actuel, est-ce qu’Agropur veut vraiment mettre un drapeau américain sur sa pinte de lait?
, illustre-t-il.
M. Doyon souligne par ailleurs que les importations de produits laitiers américains au Canada ont augmenté considérablement depuis l’entrée en vigueur de l’ACEUM en 2020. Malgré les quotas, elles ont totalisé environ 1 milliard $, soit au moins quatre fois plus que n’importe quelle année d’avant 2020.
Mais pour Shawna Morris, les échanges commerciaux devraient certainement être bien plus importants qu’ils ne le sont actuellement
.
L’industrie américaine demande donc que le Canada accorde aux grandes chaînes de restauration canadiennes une partie de ces quotas d’importation et qu’Ottawa soit beaucoup plus strict avec les entreprises d’ici qui n’utilisent pas leurs quotas d’importation au complet.
Ce que les États-Unis veulent, c’est pouvoir exporter eux-mêmes leurs produits laitiers à des acheteurs canadiens comme les détaillants et les chaînes de restauration.
C’est toutefois donner plus de pouvoir de marché au détaillant vis-à-vis des transformateurs laitiers canadiens
, ajoute-t-il en disant comprendre les réticences canadiennes.
Le Canada fait-il du dumping à l’étranger?
Autre irritant principal pour l’industrie laitière américaine : les exportations canadiennes de protéines laitières (appelées solides non gras
), comme le lait écrémé en poudre.
Les États-Unis soutiennent que, comme le système de gestion de l’offre du Canada maintient les prix artificiellement élevés, les producteurs d’ici peuvent financièrement se permettre de vendre à l’international leur production excédentaire de protéines laitières à des prix artificiellement bas, ce qui nuit à la concurrence.
Franchement, il est insensé d’avoir l’un des prix du lait les plus élevés au monde et d’exporter des protéines laitières à des prix parmi les plus bas au monde
, a déploré Mme Morris.
Dans le cadre de l’ACEUM, des quotas ont donc été imposés aux exportations canadiennes vers les États-Unis pour cette catégorie de produits, mais les États-Unis suspectent le Canada d’avoir réorienté sa production et ses exportations de protéines laitières vers d’autres catégories de produits qui échappent aux disciplines d’exportation de l’ACEUM
.
« D’une crise à l’autre »
À l’instar de ses prédécesseurs, le locataire actuel de la Maison-Blanche a donc lancé une enquête de la Commission du commerce international des États-Unis (nouvelle fenêtre) pour faire la lumière dans ce dossier sur les agissements du Canada, mais aussi de l’Inde, de la Turquie et de l’Union européenne.
Quoi qu’on pense des affirmations péremptoires de Donald Trump sur les produits laitiers canadiens, Becky Rasdall Vargas estime qu’elles ont un impact.
Je n’ai jamais vu le Canada prendre les préoccupations des États-Unis concernant la politique laitière canadienne plus au sérieux qu’au cours des six derniers mois.
De son côté, Maurice Doyon note que le secteur laitier américain navigue d’une crise à l’autre et que beaucoup croient à tort que l’accès au marché canadien résoudrait la crise
.
Compte tenu de la petitesse du marché laitier canadien, même si les États-Unis arrivaient à accaparer la totalité du marché de leur voisin du Nord – hypothèse hautement improbable selon les experts – cela se traduirait pour les producteurs américains par une croissance d’à peine 10 %.
Source: Radio Canada