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Au lendemain d’une décote historique, le gouvernement Legault révise son plan de retour à l’équilibre budgétaire dont l’encre est à peine sèche. Il envisage d’avancer la date prévue pour l’atteinte du déficit zéro afin de rassurer les agences de notation. L’opération s’annonce difficile.
Des « ajustements » se préparent
Le premier ministre François Legault et son ministre des Finances, Eric Girard, ont des discussions pour revoir le plan visant l’atteinte du déficit zéro qui a été présenté dans le budget du 25 mars. Ce plan n’a pas convaincu l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P), qui a abaissé la cote de crédit du Québec, une première en 30 ans. Quel sera le verdict des autres agences ? Le grand argentier du gouvernement, qui les rencontrera en mai, veut les dissuader d’imiter S&P. Il évoque dès maintenant que des changements à son plan pourraient être annoncés à l’occasion de la mise à jour économique de l’automne. « On va peut-être faire des ajustements à la mise à jour qui pourraient ramener le retour à l’équilibre budgétaire plus rapide et donc satisfaire les agences », a affirmé M. Girard en entrevue au 98,5 FM jeudi. Le plan initial du gouvernement est de revenir à l’équilibre en 2029-2030. Il songe à avancer l’échéancier. C’est tout un revirement : en début d’année, il envisageait de reporter le retour au déficit zéro compte tenu des menaces tarifaires de Donald Trump.
Comment faire ?
Pour avancer l’échéancier, il faudra que le président des États-Unis n’intensifie pas sa guerre tarifaire contre le Canada. Le ministre Girard rappelle qu’il a mis de côté des provisions pour imprévus en raison du contexte économique, provisions qui varient de 1,5 milliard à 2 milliards par année. « Si l’incertitude est levée sur la guerre commerciale, bien là, toutes les sommes qu’on a prévues pour aider à l’économie ne seront pas utilisées, ça va nous aider », a-t-il dit. Ces coussins constituent à ses yeux une preuve de prudence de la part du gouvernement, dont les prévisions ont été jugées néanmoins optimistes. Son budget présente un déficit de 13,6 milliards cette année, un record en chiffres absolus. S&P donne un bien mauvais score à la « performance budgétaire » du gouvernement sur son échelle de 1 à 6 (1 étant un score excellent et 6, un score médiocre). Le score de Québec ? 5.
Dépenses : après l’accélérateur, le frein
Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Legault, le poids des dépenses par rapport au produit intérieur brut (PIB) est passé de 24,4 % à 26,3 %. En 2024-2025, les dépenses de l’ensemble des ministères ont gonflé de 8,8 % en un an, du rarement-vu. « Nous devons maintenant entamer un changement de paradigme », disait Eric Girard le 25 mars. Il a annoncé un régime minceur pour une période de cinq ans, avec une hausse moyenne des dépenses de seulement 1,7 % durant cette période. C’est un quasi-gel en tenant compte de l’inflation. Si le gouvernement veut avancer l’atteinte du déficit zéro, le resserrement pourrait être plus sévère encore. Or les critiques fusent déjà au sujet des premières compressions qui font les manchettes.
Un État plus gros
L’un des facteurs invoqués par S&P pour justifier la décote, ce sont les importantes hausses salariales accordées aux employés de l’État : 17,4 % en cinq ans. Elles coûtent 3 milliards de plus par année que ce que le gouvernement avait prévu au début des négociations avec les syndicats. Cette dépense est incompressible. Certes, Québec a annoncé un gel de recrutement, tout en demandant de limiter les heures supplémentaires. Or, dans la dernière année seulement, le nombre de fonctionnaires a augmenté de 2,1 % pour atteindre 80 521 « équivalents temps complet » (ETC). La hausse s’élève à 17 % depuis l’arrivée au pouvoir des caquistes en 2018. Les autres employés de l’État, dont les travailleurs en santé et en éducation, sont plus nombreux : 528 273 ETC, en hausse de 4,9 % en un an et de 23 % depuis 2018-2019.
Des milliards à trouver
Problème important dans la révision du plan : malgré le resserrement des dépenses, le gouvernement doit encore trouver beaucoup, beaucoup d’argent pour revenir à l’équilibre budgétaire, ne serait-ce que pour respecter l’échéancier initial – 6 milliards, dont 2,5 milliards en 2029-2030. Ce sera pire si on avance l’échéancier. Et c’est sans compter que le ministre a décidé de comptabiliser dans son budget le 1,8 milliard sur cinq ans attendu avec la hausse de l’imposition du gain en capital, malgré le recul annoncé par Ottawa sur cette mesure. Québec risque de perdre cette somme escomptée dans les faits.
Un boulet plus lourd
En faisant passer les investissements en infrastructures de 153 à 164 milliards en 10 ans, le gouvernement Legault a alourdi la dette nette du Québec. Elle atteint 236 milliards. C’est une source de préoccupation pour S&P, qui donne un piètre score de 5 au gouvernement Legault au sujet de la gestion de ce boulet. Et d’ailleurs, le gouvernement a reconnu qu’il ne parviendra pas à respecter ses cibles de réduction de la dette par rapport au PIB au cours des prochaines années. Cette proportion va plutôt augmenter pendant quatre ans. Il a l’intention de modifier la loi pour lui permettre de réviser ses cibles en conséquence. Ce sera tout un casse-tête de revoir cette stratégie pour rassurer les agences de notation. D’autant que la hausse des investissements en infrastructures vise à stimuler l’économie dans un contexte difficile et à rénover nos hôpitaux, écoles et routes en piètre état.
Et la colonne des revenus ?
C’est arrivé quasi systématiquement depuis 30 ans quand un gouvernement veut sortir du trou financier : il pige dans les poches des contribuables. Le gouvernement Legault a baissé les impôts, et il dit ne pas le regretter même s’il s’est privé de revenus. Les chefs fédéraux Mark Carney et Pierre Poilievre promettent tous deux de réduire les impôts fédéraux. Québec pourrait-il récupérer ce champ fiscal et augmenter les impôts québécois dans une proportion équivalente ? « Ce n’est pas dans nos plans », se contentait de répondre François Legault avant la décote. Rappelons qu’il dénonçait au cours des dernières années un déséquilibre fiscal entre Ottawa et Québec. Et dans le passé, Québec a déjà profité d’une baisse de la TPS par les conservateurs de Stephen Harper pour augmenter la TVQ de façon équivalente. Ce sera par ailleurs difficile de compter sur l’économie pour enjoliver la colonne des revenus. Avec la guerre commerciale, un risque de récession plane et les entreprises reportent leurs projets d’investissements, ce qui envoie moins d’argent au trésor public.
Source: la presse