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En pleine campagne électorale fédérale, le gouvernement Legault demande à Ottawa de lui accorder le pouvoir de participer pleinement à la nomination des juges de tous les tribunaux au Québec.
Dans un geste qu’il qualifie d’« historique », le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, déposera dans les prochains jours une « résolution » à l’Assemblée nationale visant à déclencher des négociations constitutionnelles avec Ottawa sur cette demande qui, soutient-il, remonte à l’époque de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis.
Le gouvernement inscrira dans le feuilleton de l’Assemblée nationale mardi cette motion que M. Jolin-Barrette appelle résolution pour lui donner un caractère plus solennel.
Le Québec compte lancer ces négociations en invoquant l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet des modifications par une procédure bilatérale si elles sont approuvées par la province touchée et le Parlement fédéral. Il s’appuiera sur le jugement de 1998 de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec.
La spécificité du Québec
« On est l’une des seules fédérations dans le monde où les États fédérés ne participent pas au processus de sélection des juges qui vont être appelés à trancher des litiges ou à faire un contrôle judiciaire des lois qui relèvent de leurs compétences », a souligné le ministre de la Justice dans une entrevue avec La Presse.
À l’heure actuelle, le gouvernement du Québec détient le pouvoir de nommer les juges des tribunaux inférieurs, soit la Cour du Québec, qui est formée de 333 juges et 40 juges de paix magistrats, et les cours municipales du Québec, qui comptent 72 juges en tout. Mais les 164 juges qui siègent à la Cour supérieure et les 24 juges de la Cour d’appel du Québec sont nommés par le gouvernement fédéral.
Le ministre Jolin-Barrette, qui est aussi responsable des Relations canadiennes, estime que le Québec doit avoir son mot à dire dans la sélection de l’ensemble des membres de la magistrature qui sont appelés à statuer sur des causes relevant du droit civil et qui touchent souvent la spécificité du Québec. D’où l’importance de cette initiative qui vise à modifier l’article 98 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui indique seulement que « les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du barreau de cette province ».
En ayant les pleins pouvoirs, le Québec pourrait aussi pourvoir les postes de juges vacants plus rapidement.
Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a souvent été critiqué en raison de sa lenteur à pourvoir ces postes, une situation qui entraîne de longs délais dans l’audition des causes.
Cette démarche, a insisté le ministre de la Justice, s’inscrit dans la doctrine constitutionnelle de « la troisième voie » que préconise la Coalition avenir Québec depuis sa création.
Il y a une obligation du gouvernement fédéral de venir à la table pour faire évoluer la Constitution. On utilise les mécanismes qui sont à notre portée », a-t-il souligné.
Elle s’inspire aussi du rapport du Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la fédération canadienne, coprésidé par Sébastien Proulx et Guillaume Rousseau. Le comité a publié ses recommandations en novembre dernier.
« Renouveau constitutionnel »
« On agit pour que le Québec prenne sa place au sein du Canada. On fait avancer les dossiers. C’est un renouveau constitutionnel. C’est une nouvelle doctrine constitutionnelle qu’on met en place. On n’attend pas après personne pour définir qui nous sommes », a soutenu le ministre.
Il a indiqué que la présente campagne électorale constitue une occasion unique pour les partis politiques de prendre un engagement ferme envers les Québécois dans ce dossier.
Je pense que c’est un moment opportun pour que les partis fédéraux s’engagent à négocier avec le Québec. Cette modification constitutionnelle est une demande historique du gouvernement du Québec.
Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice
« Il doit y avoir un engagement de la part des partis fédéraux à respecter l’autonomie des États fédérés et à construire le fédéralisme de demain. […] Ce n’est pas normal, dans un État moderne comme le nôtre, que les États fédérés soient exclus du processus de nomination des juges qui vont avoir à trancher le droit québécois. »
Le Québec a déjà utilisé cette démarche constitutionnelle dans le passé quand il a décidé de déconfessionnaliser les commissions scolaires dans la province en 1997 pour établir des commissions scolaires linguistiques. Cette démarche avait été menée à bien par le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard.
En entrevue, M. Jolin-Barrette a insisté pour dire que l’initiative du gouvernement Legault « n’est pas une reconnaissance de la Loi constitutionnelle de 1982 », qui a été adoptée sans le consentement du Québec.
Cette résolution pour ouvrir des négociations constitutionnelles ne fait pas partie des demandes que le premier ministre François Legault a formulées le 27 mars dans le cadre de la campagne électorale fédérale.
Il a plutôt donné la priorité à cinq autres dossiers : la réduction du nombre d’immigrants temporaires présents au Québec, la protection des secteurs-clés de l’économie québécoise lors d’éventuelles négociations avec les États-Unis, la création d’un programme « très ambitieux » d’investissements en infrastructure, l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence du Québec et l’élimination des évaluations environnementales fédérales qui dédoublent celles du Québec.
Source: la presse