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Même si le président Donald Trump a repoussé d’au moins un mois la hausse de tarifs douaniers au Canada, l’incertitude continue de planer. Quel impact aura cette instabilité ? Que se passera-t-il au-delà de ces 30 jours ? Tour d’horizon avec trois experts.
Le premier ministre Justin Trudeau a-t-il bien agi en acceptant d’instaurer un plan frontalier avec les États-Unis en échange d’un sursis d’un mois ?
« Ça ne règle pas le problème, mais ça donne un mois aux gouvernements fédéral et provinciaux pour affiner leurs stratégies », estime le chargé de cours au département de sciences politiques de l’UQAM André Lamoureux.
« On est arrivés à la meilleure conclusion possible », assure la directrice du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM) Laurence Deschamps-Laporte.
La seule ligne cohérente que l’on peut voir dans les actions de Trump, c’est qu’il crée du chaos. Il joue à intimider ses alliés les plus proches. Alors, de ne pas répliquer, ce serait la pire stratégie.
Laurence Deschamps-Laporte, directrice du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)
Justin Trudeau se trouvait sous pression, après que son homologue du Mexique, Claudia Sheinbaum, eut obtenu un sursis de l’administration Trump. Il a donc offert à la Maison-Blanche ce qu’elle souhaitait, c’est-à-dire un sentiment de sécurité à la frontière.
« Lorsque Donald Trump négocie, il ne doit jamais sortir perdant, du moins en apparence. C’est l’effet que le Canada et le Mexique ont réussi à créer aujourd’hui », analyse Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.
Avec le sursis des tarifs douaniers, quelles pourraient être les prochaines demandes de Donald Trump ?
La seule tendance qu’il est possible d’établir dans les années au pouvoir du président américain, c’est l’instabilité.
« Sa stratégie, c’est de créer du chaos, résume Mme Deschamps-Laporte. D’utiliser des menaces fortes pour faire courber l’échine des autres pays. Alors, il pourrait utiliser n’importe quelle stratégie, comme il n’y a pas de pragmatisme dans ses actions. »
Mais cette fois-ci, Donald Trump pourrait avoir des bâtons dans les roues. Lors de sa première attaque, il a utilisé l’enjeu de la sécurité nationale pour justifier l’imposition de tarifs. Le motif était suffisamment fort pour qu’il puisse aller de l’avant, sans l’aval du Congrès, rappelle Valérie Beaudoin. « Il ne pourra plus utiliser la question de la sécurité nationale cette fois, si le problème à la frontière est réglé », explique-t-elle.
Si la guerre commerciale devait suivre un mouvement d’escalade, Donald Trump pourrait monter les enjeux en imposant une riposte encore plus forte. « J’imagine que son coup final, ce serait d’imposer des tarifs plus forts sur l’énergie », projette M. Lamoureux.
Alors que les tarifs douaniers sont sur la glace, à quoi faut-il s’attendre d’un point de vue économique ?
Chaque déclaration de Donald Trump amène son lot d’instabilité dans les marchés. Étant donné qu’une entente stable n’est toujours pas en vigueur, il faut s’attendre à plusieurs soubresauts au cours du prochain mois, estime Mme Beaudoin.
« Donald Trump se vante d’être extrêmement transparent, mais il amène l’incertitude et déstabilise l’économie chaque fois qu’il signe un décret », résume-t-elle.
« Le consommateur moyen, lorsqu’il anticipe une crise, va souvent se replier, poursuit Mme Deschamps-Laporte. C’est possible que ce soit ce que l’on voit aux États-Unis et au Canada, à court terme. »
Si vous étiez Justin Trudeau, quel serait votre plan de match pour le prochain mois ?
La première étape pour le Canada est de se tourner vers l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour s’assurer de faire respecter l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), estime Mme Deschamps-Laporte.
Le Canada devrait ensuite commencer à coordonner des mesures de représailles avec ses alliés, propose-t-elle. L’Union européenne, qui pourrait aussi faire face à une attaque tarifaire américaine, pourrait s’avérer un bon partenaire de danse. « Il faut coordonner une stratégie de représailles potentielle. Étant donné la taille de l’économie canadienne, la force sera dans le nombre », considère Mme Deschamps-Laporte.
Le Canada et le Mexique devraient aussi allier leurs forces, selon elle.
Jusqu’ici, on a négocié bilatéralement, comme M. Trump le voulait. Avec le Mexique, on pourra créer un rapport de force qui sera plus intéressant.
Laurence Deschamps-Laporte, directrice du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM)
Justin Trudeau possède un avantage dans sa manche, considère Mme Beaudoin. « Il n’a rien à perdre, rappelle-t-elle. Il est dans ses derniers milles comme premier ministre, il n’a pas à composer avec une élection qui se pointera le bout du nez. »
Au Québec, François Legault aura aussi avantage à étoffer une stratégie, considère André Lamoureux, pour limiter sa dépendance aux États-Unis.
« Il faut penser à long terme pour l’économie de la province, en ouvrant les liens avec l’Union européenne. Ce n’est pas le temps de jouer en défensive, mais de passer à l’attaque », image-t-il.
Et puis, dans 30 jours, est-ce que Donald Trump imposera réellement des tarifs douaniers ?
Tout dépendra de l’état des négociations avec le Canada. « Trump veut toujours gagner. En négociation, entre la carotte et le bâton, il utilisera toujours le bâton », détaille Mme Beaudoin.
« C’est sa technique de négociation. Il y aura une concession à faire du côté canadien, qui sera, à mon avis, plus grande que celles qui ont été faites à la frontière. »
Donald Trump aura probablement à composer avec la haine grandissante du milieu financier aux États-Unis.
« Si l’incertitude se poursuit, le milieu financier va sûrement se lever et protester contre le gouvernement. Il y aura des réactions immédiates », prévoit André Lamoureux.
« Chose certaine, les gouvernements, les citoyens et les entreprises ne pourront pas vivre avec ce stress-là tous les mois », conclut André Lamoureux.
Source: la presse