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Le ministre Simon Jolin-Barrette reproche au gouvernement Trudeau de ne pas respecter une loi qui établit un nombre minimal de juges du Québec à la Cour fédérale. Le ministre québécois de la Justice accuse aussi son homologue fédéral de « contourner l’esprit » de la loi en nommant des avocats qui ont passé leur carrière en Ontario.
« Depuis plusieurs années, des postes qui devraient être occupés par des représentants du Québec sont maintenus vacants par votre gouvernement. Cette situation inexplicable entretient un déficit de juges issus du système de justice québécois au sein de cette institution fédérale », écrit le ministre Jolin-Barrette dans une missive, obtenue par La Presse, envoyée début novembre à Arif Virani, ministre de la Justice du Canada.
Au cœur de ce nouveau litige Québec-Ottawa : la nomination de juges issus du Québec à la Cour fédérale. Même si ce tribunal est peu connu du public, son influence reste importante, puisqu’il façonne le droit en matière d’immigration, d’enjeux autochtones et de litiges maritimes ou aériens.
Dans la Loi sur les cours fédérales, un article s’intitule « Représentation du Québec ». Il indique qu’« au moins cinq juges de la Cour d’appel fédérale et dix juges de la Cour fédérale doivent avoir été juges de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure du Québec ou membres du barreau de cette province ».
Or, en ce moment, seuls neuf juges de la Cour fédérale respectent ces critères, et l’un d’entre eux est un juge surnuméraire au seuil de la retraite. En pratique, deux nouveaux juges du Québec devront ainsi être nommés.
« Votre gouvernement tend à négliger ces exigences législatives importantes et à en contourner l’esprit », écrit le ministre Jolin-Barrette dans sa lettre.
Une représentation négligée ?
En 2014, la Cour suprême a rappelé que les juges du Québec « jouent un rôle vital au sein des cours fédérales ».
Au cabinet du ministre Virani, on se dit « pleinement conscient » des exigences de la loi et on assure collaborer « étroitement » avec le Commissariat à la magistrature fédérale pour pourvoir les postes vacants. Le cabinet rappelle que 7 des 15 juges de la Cour d’appel fédérale sont issus du Québec, ce qui surpasse le minimum.
Au début de septembre, l’Association du Barreau canadien – division du Québec avait d’ailleurs interpellé le ministre Virani à ce sujet. Deux postes du Québec étaient alors vacants. Depuis, l’un des postes a été pourvu.
« Nous reconnaissons cette évolution, mais nous nous attendons à plus de proactivité de la part de votre gouvernement. La représentation du Québec au sein de ce tribunal […] ne doit en aucun cas être négligée et soyez assurés que nous y veillerons », affirme le ministre Jolin-Barrette.
Autre pierre d’achoppement : plusieurs juges « québécois » au sens de la loi n’ont dans les faits pratiquement jamais exercé au Québec. Certains juges de l’Ontario sont aussi membres du Barreau du Québec, l’un des critères de la loi.
La nomination de juristes ayant principalement pratiqué en Ontario nous apparaît comme une manière de contourner l’objectif d’assurer la représentation du Québec », maintient le ministre Jolin-Barrette dans sa lettre.
En raison de leur expertise nichée, les avocats compétents pour accéder à la magistrature à la Cour fédérale ne sont pas si nombreux. D’ailleurs, en septembre dernier, lors de la rentrée judiciaire montréalaise, le juge en chef de la Cour d’appel fédérale du Canada, Yves de Montigny, avait invité les avocats dans la salle à poser leur candidature, car quatre postes étaient vacants à la Cour fédérale.
Nommé en 2023 par le gouvernement Trudeau, le juge en chef Yves de Montigny avait profité de sa tribune pour dénoncer le « financement inadéquat » de la Cour fédérale, lequel mettait en péril sa « capacité à fonctionner efficacement ».
Une situation « critique »
Depuis des années, Ottawa se traîne les pieds pour nommer de nouveaux juges partout au pays. En début d’année, la Cour fédérale a même rendu une décision cinglante pour dénoncer le « surplace » du gouvernement Trudeau à ce sujet. « Ils ont manqué à leur devoir », a même écrit un juge de la Cour fédérale, en évoquant une « situation critique ».
Encore aujourd’hui, neuf postes attendent d’être pourvus à la Cour supérieure du Québec. Quatre d’entre eux ont été récemment ajoutés par le gouvernement Trudeau lors du budget 2024.
La porte-parole du ministre Virani assure que le ministre prend « très au sérieux » sa responsabilité en matière de nominations à la magistrature. Pas moins de 172 juges ont été nommés par le ministre depuis sa nomination en 2023, un rythme « sans précédent », selon sa porte-parole.
Source: la presse