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Des agents du gouvernement indien seraient intervenus pour faire dérailler la campagne de Patrick Brown, un des principaux adversaires de Pierre Poilievre, selon des informations obtenues par Radio-Canada.
La coprésidente nationale de la campagne de M. Brown, la députée fédérale Michelle Rempel Garner, aurait notamment subi des pressions pour qu’elle retire son appui à ce candidat lors de la course à la direction du Parti conservateur du Canada, en 2022, selon nos informations.
Mme Rempel Garner nie catégoriquement ces allégations.
Radio-Canada ne détient aucune preuve selon laquelle M. Poilievre était au courant des agissements des représentants indiens.
Celui-ci a d’ailleurs remporté haut la main la course à la chefferie de son parti en 2022 avec 68 % des points dès le premier tour de scrutin.
Radio-Canada s’est entretenue séparément avec cinq personnes qui ont été impliquées de près dans la campagne fédérale de M. Brown, qui est maire de la ville ontarienne de Brampton et ancien chef du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario.
Ces personnes ont fourni des exemples précis des pressions qu’auraient exercées des agents consulaires indiens au Canada pour nuire à la candidature de M. Brown.
Des personnes employées dans le cadre de la campagne électorale se seraient fait dire par des représentants du gouvernement de l’Inde de cesser d’appuyer ce candidat, de ne pas vendre de cartes de membre pour lui et de ne pas l’inviter à certains événements, selon ces sources qui préfèrent garder l’anonymat par crainte pour leur sécurité.
En octobre 2024, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a annoncé qu’elle détenait des preuves de l’implication d’agents du gouvernement de l’Inde dans des activités criminelles graves au Canada
, notamment des homicides et de l’extorsion.
Patrick Brown a d’ailleurs été assigné à comparaître devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale, qui se penche sur l’ingérence électorale et les activités criminelles au Canada par des agents du gouvernement de l’Inde
.
Contactée par des représentants indiens
Des allégations d’ingérence indienne auprès d’un député lors de la dernière course à la direction du Parti conservateur avaient déjà été révélées l’année dernière par Baaz News Organization, un média de la communauté sikhe du Canada.
Au moins un député a reçu la visite de représentants d’un consulat indien au Canada qui l’a exhorté à retirer son soutien à Patrick Brown lors de la course à la direction du Parti conservateur du Canada (PCC) de 2022
, peut-on lire dans un article de décembre 2023. Cependant, l’article ne nommait pas le parlementaire en question.
Selon nos sources, il s’agirait de Michelle Rempel Garner, de la circonscription de Calgary Nose Hill, en Alberta.
Des représentants consulaires indiens étaient entrés en contact avec Michelle, lui suggérant fortement qu’il n’était pas dans son intérêt de continuer à travailler aux côtés de Patrick.
La députée aurait elle-même transmis cette information à plusieurs autres membres de l’équipe de campagne.
Ce fut un sujet de conversation lors d’une de nos conférences téléphoniques avec elle
, a expliqué une des sources.
Ces diplomates indiens lui ont dit : »Vous devez retirer votre appui à Patrick »
, a confirmé une autre personne qui a pris part à la conférence téléphonique.
Plus tard, en pleine course électorale, le 16 juin 2022, Mme Rempel Garner annonce qu’elle quitte son poste de coprésidente de la campagne de Patrick Brown.
Elle disait alors envisager sérieusement de se lancer dans la course à la chefferie du Parti conservateur uni en Alberta (PCU) pour succéder à Jason Kenney.
Une semaine plus tard, la députée fédérale a abandonné ce projet, se disant inquiète du climat de division au sein du PCU.
Toutefois, elle n’a pas réintégré son poste dans l’équipe de campagne de Patrick Brown. Par ailleurs, ces derniers ont refusé nos demandes d’entrevue.
J’ai quitté la campagne de M. Brown de mon propre gré
, insiste Mme Rempel Garner, dans une déclaration écrite.
En aucun cas et à aucun moment, je n’ai subi de coercition de quelque manière que ce soit par qui que ce soit.
Je suis une parlementaire expérimentée, une communicatrice chevronnée et une ancienne ministre qui s’est avérée plus que capable de développer des positions de haut niveau entièrement basées sur ma propre lecture d’une situation. […] De suggérer le contraire est ridicule
, a-t-elle ajouté.
Elle affirme qu’elle a toujours travaillé pour prévenir les divisions au sein des groupes de la diaspora.
Prévenir ces divisions est la raison pour laquelle j’ai toujours pris en compte les points de vue de nombreux groupes d’intérêt et intervenants canadiens avant d’aborder les questions relatives aux communautés de la diaspora
, écrit-elle.
En réponse à nos questions, le bureau de Pierre Poilievre affirme qu’il n’a pas du tout connaissance
d’une quelconque ingérence indienne dans le but de nuire à la campagne de Patrick Brown.
Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a fait état de l’ingérence alléguée de l’Inde dans une campagne à la chefferie du Parti conservateur du Canada
dans son rapport explosif sur l’ingérence étrangère, dont une version caviardée a été rendue publique en juin 2024.
Le SCRS n’a fait état au Parti conservateur du Canada d’aucun renseignement de sécurité qui suggérerait qu’il y a eu ingérence étrangère dans la course à la direction
, avait alors affirmé la directrice des communications du Parti conservateur, Sarah Fischer. C’est la première fois que nous en entendons parler.
M. Poilievre est le seul chef de parti du Parlement qui refuse toujours de demander la cote de sécurité nécessaire pour avoir accès aux documents classifiés sur l’ingérence étrangère au Canada.
Brown désinvité
à un événement indien
Durant la course à la direction du Parti conservateur, les pressions exercées par des agents consulaires indiens ne se sont pas limitées aux dirigeants de la campagne de Patrick Brown, selon nos sources.
Des travailleurs sur le terrain auraient aussi été visés.
Des partisans de la communauté hindoue se sont fait dire par des responsables des consulats indiens qu’ils n’étaient pas autorisés à vendre des cartes de membre pour Patrick Brown
, raconte une source près de l’équipe de campagne.
De plus, il a été clairement indiqué aux organisateurs d’événements que les consulats indiens leur avaient dit qu’ils ne pouvaient pas inviter Patrick Brown à des rassemblements de type diaspora où le consulat allait être impliqué
, ajoute-t-elle.
Des sources ont affirmé que les pressions provenaient des agents consulaires indiens eux-mêmes ou de leurs intermédiaires, c’est-à-dire des organismes canadiens associés au gouvernement Modi.
Selon elles, les agents indiens ne dirigeaient pas explicitement leurs partisans vers le camp d’un autre candidat.
Miner les candidats
qui sont en désaccord avec leurs positions durant des campagnes électorales est l’une des « tactiques » utilisées par des pays comme l’Inde, a expliqué David Vigneault, alors directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, devant la commission Hogue, en avril 2024.
Radio-Canada a été en mesure de retrouver une activité de la communauté indienne où M. Brown a été persona non grata alors que son nom circulait de plus en plus comme candidat à la direction du Parti conservateur.
Il y avait un événement organisé par Panorama India et ils ont directement dit à Patrick : »Vous n’êtes plus le bienvenu en raison de vos liens avec la communauté sikhe »
, explique une des sources. Ils lui ont dit : »Vous avez contrarié nos amis du consulat indien et ils préféreraient que vous n’y assistiez pas »
, ajoute-t-elle.
Chaque année, l’association Panorama India de Mississauga organise une célébration à l’occasion du jour de la République, une fête nationale indienne.
M. Brown y avait déjà participé par le passé et y a assisté de nouveau depuis, mais pas en 2022, année de la course à la direction.
Cette célébration était prévue pour le 27 février, soit deux semaines avant le lancement officiel de sa campagne.
Son équipe, déjà à pied d’œuvre depuis des mois, y voyait une belle occasion pour son candidat de solliciter des appuis auprès de la communauté indienne.
Toutefois, Patrick Brown aurait été désinvité
à la demande d’agents consulaires indiens, a confirmé une autre source.
Comme maire de Brampton, la ville canadienne qui compte la plus importante communauté sikhe, M. Brown avait tissé des liens étroits avec cette communauté, ont expliqué des membres de son équipe de campagne.
Il avait notamment publié sur Twitter des messages d’appui aux fermiers lors des manifestations massives en Inde contre la réforme agraire du gouvernement Modi. Plusieurs de ces agriculteurs étaient originaires du Pendjab, un État à majorité sikhe.
Quand un des partisans de ce mouvement, l’acteur et militant Deep Sidhu, est décédé dans un accident d’auto en Inde, M. Brown a participé à une veille organisée par la communauté sikhe à l’extérieur de l’hôtel de ville de Brampton et en a publié une photo sur son compte Twitter en février 2022.
On y voyait des gens brandir des drapeaux du Khalistan, en référence à l’État indépendant sikh que certains membres de la communauté réclament.
Ces gazouillis ont profondément choqué
les représentants du gouvernement indien au Canada, a affirmé une personne impliquée dans la campagne.
À l’époque, le gouvernement indien avait lui-même dénoncé publiquement la présence du maire à ce rassemblement.
La présidente de Panorama India qui était en poste à l’époque n’a pas, non plus, donné suite à notre demande d’entrevue.
La présidente actuelle s’est quant à elle dite choquée par ces allégations, affirmant que son organisme ne fait pas dans la politique.
Sur son site web, Panorama India se présente comme un regroupement culturel sans but lucratif. Il a été créé avec l’appui du consulat général d’Inde à Toronto
et le consul général en est le président d’honneur
, toujours selon ce site web.
Le Haut-commissariat de l’Inde à Ottawa ainsi que les consulats généraux d’Inde à Toronto et à Vancouver n’ont également pas répondu à nos demandes de commentaires.
D’amis à ennemis
Le gouvernement indien de Narendra Modi s’oppose à la création d’un État sikh indépendant, un projet qu’il décrit comme une menace à la sécurité nationale. Cette question est d’ailleurs au cœur des tensions actuelles entre le Canada et l’Inde.
En septembre 2023, le premier ministre Trudeau a provoqué une onde de choc quand il a annoncé qu’il existait des allégations crédibles
qui établissaient un lien possible entre des agents du gouvernement de l’Inde et le meurtre d’un citoyen canadien, Hardeep Singh Nijjar
, un militant sikh.
L’Inde a catégoriquement rejeté ces allégations, qualifiant le Canada de refuge pour terroristes et pour extrémistes
.
Le mois suivant, les autorités américaines ont inculpé un agent du renseignement indien pour son implication présumée dans un complot en vue d’assassiner un autre dirigeant du mouvement séparatiste sikh à New York.
L’Inde, qui est dirigée par un parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party, ne voulait pas d’un candidat proche de la communauté sikhe, selon nos sources.
L’Inde veut des amis, pas des ennemis. Le gouvernement considère actuellement les communautés musulmane et sikhe au Canada comme étant incompatibles avec son projet national
, a expliqué une de nos sources.
Pourtant, Patrick Brown et Narendra Modi ont longtemps été des amis.
La relation entre ces deux hommes s’est amorcée au début des années 2000, alors que M. Modi était ministre en chef de l’État du Gujarat.
À l’époque, M. Brown était député fédéral dans le gouvernement de Stephen Harper et président de l’Association parlementaire Canada-Inde.
Dans son autobiographie, M. Brown évoque ses nombreux voyages en Inde et le traitement royal dont il a bénéficié grâce à son amitié avec M. Modi.
Il décrit d’ailleurs cet homme politique indien comme une de ses sources d’inspiration en politique
en raison de ses réalisations économiques.
M. Brown a depuis exprimé ses inquiétudes quant au caractère nationaliste religieux du gouvernement Modi.
Dans une vidéo de campagne en 2022, le candidat parle de son énorme déception face à l’Inde, qu’il accuse de discrimination
à l’endroit des communautés musulmane, sikhe et chrétienne.
Dans sa prise de parole, il invitait les membres de ces communautés à rejoindre le Parti conservateur afin de voter pour lui.
Cependant, M. Brown n’a jamais pu terminer la course.
En juillet 2022, il a été disqualifié par les autorités du Parti conservateur à la suite de sérieuses allégations d’actes répréhensibles
liés au financement électoral.
M. Brown a alors dénoncé l’establishment du parti, qu’il a accusé de vouloir l’évincer pour favoriser la candidature de Pierre Poilievre.
En septembre 2022, Pierre Poilievre a facilement remporté la course à la direction du Parti conservateur du Canada.
En février 2024, la commissaire aux élections fédérales a écarté les allégations portées contre l’équipe de campagne de M. Brown. Elle a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt public
de poursuivre son enquête après avoir effectué une révision en profondeur des informations fournies
par le Parti conservateur. La commissaire a déclaré ce dossier clos
.
En réponse à nos questions, le Parti conservateur du Canada a affirmé qu’il n’était ni à l’époque ni maintenant au courant
d’ingérence étrangère indienne dans le but de compromettre la campagne de Patrick Brown.
Source: Radio Canada