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Doter le Québec d’une constitution était au cœur des recommandations du Comité de consultation et de réflexion sur la relance du Parti libéral du Québec. « Une telle constitution, un geste fort d’affirmation nationale, contribuerait à la pérennité du Québec au sein de la fédération canadienne », écrivaient l’an dernier les membres du comité.
Réunis en congrès cette fin de semaine, une majorité de militants libéraux ont voté pour que leur parti s’engage dans cette voie. Pareille proposition offre certes un avantage au PLQ : elle lui permet de se poser en défenseur de l’identité québécoise, sans avoir à fondamentalement modifier l’équilibre des forces qui existent entre les différents groupes composant la société québécoise.
C’est qu’on en revient toujours au même dilemme. Marginalisé dans un grand nombre de circonscriptions à l’extérieur de Montréal lors des dernières élections, le PLQ doit envoyer le message qu’il a à cœur les intérêts des francophones, sans pour autant s’aliéner sa base électorale, largement composée d’anglophones et d’allophones.
S’aventurer sur le terrain de la langue, dans ce contexte, devient rapidement très glissant, comme l’avait découvert à ses dépens Dominique Anglade, avant les dernières élections. En 2021, la cheffe libérale avait dévoilé 27 propositions pour l’avenir de la langue française, dont une prévoyait l’obligation pour les étudiants des cégeps anglophones de suivre, en plus des cours de langue, trois cours de leur cursus en français.
Mal lui en a pris. La proposition, acceptée par la CAQ, a rapidement été contestée par la communauté anglophone, contraignant la cheffe libérale à un recul aussi humiliant que nuisible à sa campagne.
Une opération risquée
Codifier dans une constitution des lois et des principes qui existent déjà apparaît certes moins hasardeux qu’en adopter de nouveaux, mais l’aventure comporte aussi des risques, comme a tôt fait de le souligner samedi Philippe Couillard. Possiblement que ça peut être utile, mais il y a beaucoup de pierres d’achoppement là-dedans
, a prévenu l’ancien premier ministre.
Le principal écueil tient bien sûr au contenu même d’une éventuelle constitution. La résolution adoptée en fin de semaine prévoit l’inclusion dans la constitution de la Charte des droits et libertés de la personne et de la Charte de la langue française. Les deux documents auraient de ce fait une légitimité plus grande et deviendraient plus difficiles à modifier à l’avenir.
Le hic, c’est qu’avant d’enchâsser la Charte de la langue française dans la constitution québécoise, un gouvernement libéral amenderait cette dernière, de manière à en retirer ce que la CAQ y a ajouté pour la renforcer. Exit entre autres l’obligation pour les immigrants d’obtenir des services en français après six mois et le plafonnement des inscriptions dans les cégeps de langue anglaise.
Autrement dit, le PLQ propose simultanément de renforcer le statut de la Charte de la langue française et d’abroger certaines de ses dispositions. De nombreux électeurs risquent d’avoir du mal à bien interpréter ces signaux en apparence contradictoires.
L’ancien ministre de la Langue française Simon Jolin-Barrette y a d’ailleurs tout de suite vu une brèche dans l’argumentaire libéral, écrivant sur le réseau social X que le PLQ renoue avec son antinationalisme historique qui milite pour le recul du français au Québec. Un parti complètement déconnecté de la réalité des Québécois et à la solde du PLC.
L’idée de donner aux Québécois une constitution n’est pas nouvelle en soi. L’ancien ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, le regretté Benoît Pelletier, avait plaidé pour l’idée au début des années 2000. Au sein de la CAQ, des élus tentent aussi d’amener leur parti à aller dans cette direction.
Des membres divisés
Un autre péril tient au risque de division que pareil projet fait peser dans les rangs mêmes du PLQ. Des militants digèrent visiblement mal cette idée, et ce, même si on n’en est encore qu’à débattre des grands principes.
Il n’y a pas qu’une nation au Québec, il y a plusieurs nations. Et il y a plusieurs cultures, langues et traditions religieuses
, a plaidé un militant, inquiet de voir une nation être placée au-dessus des autres
dans une constitution québécoise.
D’autres membres ont fait valoir que le Québec avait déjà une constitution : la Constitution canadienne. À leurs yeux, adopter une constitution proprement québécoise reviendrait à amender la Constitution canadienne par la porte d’en arrière.
Pour le député Gregory Kelley, le processus proposé par son parti pose problème : On ne peut pas imposer une constitution aux autres et il y a des personnes qui manquent dans la salle pour écrire une constitution : des membres du Parti québécois, de Québec solidaire, de la CAQ et du Parti conservateur
, a-t-il plaidé.
Le bon moment?
Au-delà du bien-fondé de l’idée, la question de l’opportunité politique se pose aussi. Comme on l’a encore vu la semaine dernière aux États-Unis, ce sont souvent les enjeux en phase directe avec la vie quotidienne des gens qui finissent par faire foi du vote des électeurs.
Le Québec a besoin de médecins de famille, le Québec a besoin de psychiatres, d’infirmières, de préposés aux bénéficiaires, d’enseignants, d’orthopédagogues… Concentrons-nous sur ces priorités plutôt que sur une constitution
, a fait valoir une militante lors du débat de samedi.
L’ancien premier ministre Couillard met d’ailleurs en garde ses anciens collègues : Si vous demandez à 1000 personnes aujourd’hui au Québec si ça fait partie de leurs 20 priorités, je suis prêt à parier que ce n’est pas là.
Celui qui a donné au Parti libéral son dernier gouvernement et sa dernière majorité avait fait campagne, en 2014, sur le thème Ensemble on s’occupe des vraies affaires
. Sa vision d’une élection victorieuse n’a manifestement pas changé depuis.
Source: Radio Canada