Assahafa.com
Au moment où son gouvernement traverse une zone de turbulence sans précédent, Justin Trudeau s’est envolé pour le Laos afin de participer au sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE). Le Canada espère signer un accord de libre-échange d’ici la fin de 2025 avec cette zone économique en pleine effervescence. Ce sera un premier véritable test à la veille du deuxième anniversaire de sa stratégie indo-pacifique.
Le Canada est à la traîne. C’est ça qui est dommageable dans nos relations partout dans le monde, et en particulier dans ce continent qui est extrêmement dynamique
, affirme Jean-François Lépine, ancien diplomate et spécialiste de la Chine et de l’Asie.
Les pays membres de l’ANASE ont une grande importance stratégique pour le Canada dans le contexte où les relations avec la Chine sont au plus bas et où ça ne va guère mieux avec l’Inde. Mais Ottawa se traîne les pieds depuis l’annonce, en novembre 2022, de sa politique visant à renforcer sa présence dans la région, déplore celui qui a été directeur des représentations du gouvernement du Québec en Chine après sa carrière de journaliste.
Toutes les promesses qui ont été faites dans cette politique-là de diversifier nos relations, de ne pas compter trop exclusivement sur la Chine […] on a presque rien fait depuis. Et pourtant, c’est très attendu.
Qu’est-ce que l’ANASE?
- Cette organisation intergouvernementale est constituée de l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Cambodge, le Myanmar, le Vietnam et le Laos.
- Elle a été créée en 1967.
- Elle représente une population de 680 millions habitants.
- Le Canada agit comme partenaire depuis 1977.
- C’est le quatrième partenaire commercial du Canada.
- Le commerce de marchandises entre le Canada et l’ANASE représente 38,7 milliards de dollars annuellement.
Une mission de fin de mandat
La réputation du Canada a été malmenée dans la région parce que la diplomatie canadienne n’y a pas assuré une présence assidue, selon Dominique Caouette, professeur au centre d’études asiatique de l’Université de Montréal. Le Canada est un ami « cute » mais pas fiable, sympathique mais dont la présence n’a pas été constante au fil des années
, dit-il.
Et Justin Trudeau a contribué à cette relation instable
, ajoute Jean-François Lépine. Les premières années de son régime, on l’a critiqué parce qu’il changeait de ministre des Affaires étrangères tous les ans.
Le premier ministre tente depuis de rebâtir des liens plus solides dans la région et particulièrement avec l’ANASE, qui regroupe le quart des pays de l’Asie et dont la croissance économique est l’une des plus fortes au monde.
Pour démontrer que le Canada n’est pas un partenaire de seconde zone, Justin Trudeau participe ces jours-ci à son troisième sommet d’affilée de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est. Puis, son cabinet martèle qu’il s’agit de la première visite officielle d’un premier ministre canadien au Laos.
Les dirigeants savent qu’il est « dans l’eau chaude », en fin de mandat avec une grande incertitude sur l’issue de l’élection.
Mais le premier ministre canadien est maintenant lui-même affaibli aux yeux des leaders des pays de l’ANASE. Ils savent que son mandat tire à sa fin, dit Yves Tiberghien, membre de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.
Il y a un peu une dissonance entre ce travail de longue haleine qui est difficile à faire avec l’ANASE pour construire la crédibilité canadienne et l’urgence politique à court terme au Canada
, fait observer le professeur de sciences politiques à l’Université de la Colombie-Britannique.
L’ANASE, c’est un peu la nouvelle Venise. C’est le centre d’intersection de toutes les tensions géopolitiques, mais aussi de toutes les convoitises.
Et puis, les pays de l’ANASE sont conscients de leur pouvoir d’attraction. Ils représentent pour les États-Unis, et par ricochet pour le Canada, la clé de voûte pour établir un rapport de force avec la Chine.
Justin Trudeau devra donc se montrer convaincant pour faire au moins un pas dans cette direction. Et s’il veut pérenniser sa vision, il devra faire des progrès considérables pendant le sommet de l’ANASE cette semaine. Pour faire en sorte que le prochain gouvernement soit lié à certaines ententes. Pour s’assurer que le Canada ne reculera pas si on change de gouvernement
, explique Dominique Caouette.
Le conflit au Moyen-Orient s’invite dans les négociations
Justin Trudeau sera aussi rattrapé par le conflit au Moyen-Orient, qui a une résonance particulière dans certains des plus importants pays de l’Asie du Sud-Est, notamment en Indonésie, premier pays musulman du monde, en Malaise, mais aussi au Brunei.
Même si officiellement, l’ANASE a condamné l’attaque du Hamas du 7 octobre et plaidé pour un cessez-le-feu, ces trois pays ne l’ont pas fait individuellement. Ils sont critiques des positions américaines et par conséquent des positions canadiennes sur la question.
Le premier ministre devra naviguer sur la question alors que le Canada entamera, en novembre, un dernier sprint de négociations en vue de conclure un accord commercial bilatéral avec l’Indonésie d’ici la fin de l’année.
Source: Radio Canada