Politisation de l’immigration : une responsabilité partagée

30 septembre 2024
Politisation de l’immigration : une responsabilité partagée

Assahafa.com

Justin Trudeau reproche à François Legault d’avoir politisé la question de l’immigration. « C’est désolant de voir le premier ministre du Québec partager des déclarations qui, sur l’immigration, sont carrément fausses. […] Nous travaillons et nous avons travaillé d’ailleurs avec le gouvernement du Québec sur cet enjeu que M. Legault semble vouloir politiser à tout prix », a-t-il dénoncé.

Ses propos ont été d’autant plus remarqués qu’il les a tenus devant Emmanuel Macron, qui était reçu la semaine dernière au Canada.

Il y a deux semaines, c’est le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, qui tenait des propos semblables, montrant du doigt ces premiers ministres provinciauxnonos issus du Parti conservateur. Ces derniers auraient politisé la question de l’immigration, en refusant une répartition plus équitable des demandeurs d’asile à l’échelle du pays.

Que la question de l’immigration soit éminemment politique n’a rien de nouveau en territoire québécois. Dès les années 1970, peu après la création du ministère québécois de l’Immigration, René Lévesque mettait en garde contre la capacité du gouvernement fédéral d’imposer ses choix au Québec et d’ainsi influer sur sa démographie. Au soir du référendum de 1995, Jacques Parizeau en faisait une cause de la défaite du OUI, dans une déclaration passée à l’histoire.

Au milieu des années 2000, la question des accommodements raisonnables, (Nouvelle fenêtre) associée à l’immigration dans l’esprit de bien des gens, s’y est momentanément substituée. Lors des élections de 2007, l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont a fait ses choux gras des demandes d’accommodement jugées excessives. Le Parti québécois a poursuivi sur la même lancée avec sa Charte des valeurs québécoises en 2013.

Aux élections de 2018, la CAQ a non seulement promis de légiférer pour assurer la laïcité de l’État, mais c’est la promesse de François Legault de réduire les seuils d’immigration permanente de 50 000 à 40 000 qui a suscité le plus de réactions. Le premier ministre est revenu à la charge lors du dernier scrutin, évoquant la nécessité d’un mandat fort pour obtenir plus de pouvoir du gouvernement fédéral et ainsi éviter la louisianisation du Québec.

Un regard bien différent au Canada anglais

Si ce n’est pas d’hier que la question de l’immigration est hautement politique au Québec, l’approche était, jusqu’à tout récemment, bien différente au Canada anglais. Dans les années 1980, Bryan Mulroney a augmenté substantiellement les seuils d’immigration sans que cela ne fasse trop de vagues.

Les gouvernements Chrétien, Martin et Harper se sont succédé, sans remettre en question cette orientation, les cibles d’immigration demeurant autour de 250 000 admissions annuellement durant une longue période. Si le Parti réformiste a brièvement proposé de les réduire au début des années 1990, l’idée n’a pas fait long feu.

Une revue de presse des dernières années indique que les choses ont pourtant commencé à changer peu après l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. En écrivant sur Twitter, début 2017, que le Canada accueillerait ceux qui fuient leur pays, indépendamment de leur foi, parce que la diversité fait notre force, Justin Trudeau cherchait d’abord à créer un contraste entre son gouvernement et celui de Donald Trump, fraîchement élu. C’était, à n’en point douter, un geste politique. Justin Trudeau se faisant une vertu de dire à la face du monde que le Canada était un pays ouvert – sous-entendu, plus ouvert que les autres.

Si son message a généralement été bien accueilli, des inquiétudes ont timidement commencé à s’exprimer dans la presse quant à la perception que cela risquait de créer sur la scène internationale. Et quand des demandeurs d’asile ont commencé à arriver par milliers au chemin Roxham, des voix se sont fait entendre sur l’équité de cette voie d’accès au pays.

C’est véritablement à la suite du dépôt du Plan des niveaux d’immigration 2023-2025 que le débat a pris son envol au Canada anglais et que la question s’est imposée comme enjeu politique. Le gouvernement fédéral a affiché son intention de porter à 500 000 le nombre d’immigrants accueillis sur une base annuelle à l’horizon 2025, ce qui a suscité des doutes sur la capacité d’accueil des provinces. Des enquêtes journalistiques ont révélé que le gouvernement s’était entre autres appuyé sur des recommandations de la firme McKinsey pour élaborer ses politiques.

On s’est rendu compte, à peu près en même temps, que le nombre de résidents non permanents avait connu une forte hausse depuis la fin de la pandémie, entre autres parce qu’un nombre grandissant d’entreprises choisissaient de se tourner vers des travailleurs temporaires pour résorber les problèmes de main-d’œuvre auxquels elles faisaient face.

Économistes, experts de toutes sortes et même fonctionnaires ont émis des réserves sur la capacité du Canada d’accueillir autant de nouveaux venus. On a commencé à discuter des impacts qu’une telle politique allait avoir sur le logement et l’accès aux services publics.

Des institutions financières ont publié des études établissant un lien entre la hausse soutenue de la population et la crise du logement, la Banque Nationale évoquant même un piège démographique. D’autres publications ont mis en relief le fait que la croissance du produit intérieur brut ne suivait pas celle de la population, diminuant d’autant la richesse par habitant. Des sondages ont indiqué que la perception des Canadiens face à l’immigration commençait à changer.

L’opposition s’en mêle

Il s’est alors produit ce qu’on n’avait pas vu depuis longtemps. L’opposition est entrée dans la danse, Pierre Poilievre accusant le gouvernement Trudeau d’avoir brisé le système d’immigration et promettant, s’il est élu, d’arrimer la croissance de la population à celle du parc immobilier. Le gouvernement fédéral a lui-même commencé à faire marche arrière, resserrant l’accès au territoire pour les étudiants étrangers et les travailleurs temporaires – ce qui a suscité du mécontentement.

Dans le contexte, il est pour le moins ironique d’entendre Justin Trudeau reprocher aux autres d’avoir politisé la question de l’immigration. Les élus québécois, y compris François Legault, ont très certainement contribué à cet état de fait, mais le premier ministre canadien porte aussi sa part de responsabilité dans ce changement de paradigme.

Il sera difficile à partir de maintenant de faire rentrer le génie dans sa lampe. Pour le meilleur et pour le pire, la question de l’immigration est maintenant devenue au Canada un enjeu politique.

Que la question soit maintenant politisée n’est pas nécessairement une mauvaise chose; le fait de passer sous silence cet enjeu important, qui soulève les passions dans presque tous les pays occidentaux, n’était pas nécessairement souhaitable. Tout dépend évidemment de ce qu’on entend par politiser – et de la manière dont se fera le débat qui découlera de cette politisation.

Source: Radio Canada

Derniers articles
Les cookies nous permettent de personnaliser le contenu et les annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Nous partageons également des informations sur l'utilisation de notre site avec nos partenaires de médias sociaux, de publicité et d'analyse.
j'accepte!