Les États-Unis veulent nos minéraux critiques. Le Canada est-il prêt?

25 avril 2025
Les États-Unis veulent nos minéraux critiques. Le Canada est-il prêt?

Assahafa.com

Donald Trump a dans sa ligne de mire les minéraux critiques du Canada, d’autant plus que la Chine, qui domine le marché, a récemment restreint les exportations aux États-Unis. Le Canada détient-il un levier économique stratégique contre ces menaces de l’administration Trump? Que disent les chefs des partis politiques fédéraux à ce sujet?

En février, l’ex-premier ministre Justin Trudeau a déclaré que la menace du président Trump d’annexer le Canada était une chose réelle et qu’elle était motivée par son désir de mettre la main sur les minéraux critiques du pays.

Même si les États-Unis sont à la recherche de ces minéraux très prisés, ils ne sont pas sur le point d’envahir le Canada pour y avoir accès, selon Elizabeth Steyn, professeure adjointe de droit à l’Université de Calgary.

Je ne pense pas qu’on va être annexés à cause de nos minéraux critiques. Je crois plutôt qu’il s’agit d’une façon de faire des pressions économiques sur le Canada, estime Mme Steyn, qui donne un cours sur les minéraux critiques.

Le professeur Andrew Grant est lui aussi surpris de cette rhétorique annexionniste. Les États-Unis ont déjà accès à nos minéraux critiques. Des compagnies américaines font de l’exploration et de l’extraction au Canada. Nous avons un historique d’échanges entre nos deux pays, souligne M. Grant, qui travaille au département d’études politiques de l’Université Queen’s.

Et notons ici que l’adversaire principal des États-Unis dans ce domaine n’est pas leur voisin du Nord, mais plutôt la Chine.

Hégémonie chinoise

Partout dans le monde, la demande pour les minéraux critiques explose en raison de leur rôle essentiel dans la fabrication de téléphones intelligents, d’ordinateurs portables, de panneaux solaires et de voitures électriques.

Les terres rares sont un groupe de 17 éléments chimiquement similaires et essentiels à la fabrication de nombreux produits de haute technologie. La plupart de ces éléments sont abondants dans la nature. Ils sont rares parce qu’ils sont toujours mélangés à d’autres minéraux dans des concentrations très faibles et sont donc très difficiles à extraire.

Bien que la liste diffère d’un État à un autre, les minéraux critiques sont des éléments pour lesquels il n’existe pas de substituts, dont l’approvisionnement est limité, qui ont une grande importance économique et dont l’extraction et la transformation sont très restreintes.

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’offre de minéraux et de métaux essentiels à la fabrication de batteries ne pourra pas suivre la demande dans les prochaines années.

Selon son plus récent rapport, l’offre de minéraux et de métaux critiques ne couvrirait que 70 % des besoins en cuivre et 50 % des besoins en lithium. Cette forte demande est principalement liée aux ventes de véhicules électriques ainsi qu’au déploiement de panneaux solaires et d’éoliennes.

Tous les pays, y compris le Canada et les États-Unis, sont loin derrière dans cette ruée vers les minéraux critiques.

La Chine, contrairement aux autres pays, développe et subventionne fortement cette industrie depuis les années 1980. Elle a depuis lors développé de façon intensive ses infrastructures, sa technologie et son expertise.

Le Parti communiste chinois a compris que c’était un secteur sous-développé. Maintenant, la Chine a une longueur d’avance de plus de 30 ans.

Une citation deAndrew Grant, professeur à l’Université Queen’s

La Chine extrait actuellement plus de 60 % des éléments de terres rares et elle transforme jusqu’à 90 % de l’offre mondiale dans ce domaine. Plus de la moitié du processus de production de lithium et de cobalt est réalisée en Chine, qui domine également la chaîne de production de graphite.

L’erreur stratégique qui a permis à la Russie de dominer le marché mondial du pétrole et du gaz naturel ne peut pas se répéter dans l’industrie des minéraux critiques, disait en 2022 Jonathan Wilkinson, ex-ministre fédéral des Ressources naturelles et candidat libéral dans North Vancouver-Capilano.

Pour Félix Gervais, professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal, la Chine a compris que l’accès à ces minéraux est désormais un atout stratégique et géopolitique. C’est un levier pour la Chine, qui se sert de cette faiblesse occidentale et européenne pour négocier, explique-t-il en entrevue au balado Ça s’explique.

D’ailleurs, le 4 avril dernier, en réponse aux tarifs douaniers imposés par les États-Unis, la Chine a imposé des restrictions à l’exportation de sept éléments de terres rares (samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutécium, scandium et yttrium) et d’aimants utilisés dans les secteurs de la défense, de l’énergie et de l’automobile. Les entreprises américaines doivent désormais obtenir des licences spéciales pour pouvoir en importer.

La Chine a également placé 16 organisations américaines sur sa liste de contrôle des exportations, ce qui les empêche de recevoir des biens à double usage. Quinze de ces entreprises appartiennent aux secteurs de la défense et de l’aérospatiale.

Le Centre d’études stratégiques et internationales (nouvelle fenêtre) prévient que ces restrictions constituent une menace sérieuse pour les États-Unis.

D’autres interdictions sur les minéraux critiques ne feront que creuser l’écart et permettront à la Chine de renforcer ses capacités militaires plus rapidement que les États-Unis, peut-on lire dans son plus récent rapport.

Quelle est la stratégie du Canada?

Au Canada, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a déclaré que la meilleure façon de faire reculer Donald Trump sur ses tarifs douaniers serait de cesser d’exporter des minéraux critiques aux États-Unis. Nous savons que les États-Unis ont besoin de nos minéraux essentiels. Arrêtons le flux de ces minéraux essentiels vers les États-Unis.

Mme Steyn et M. Grant estiment toutefois que le Canada ne doit pas complètement fermer la porte aux États-Unis. On peut utiliser [les minéraux critiques] comme monnaie d’échange lors des négociations dans les divers secteurs de l’économie canadienne, mais il faut l’utiliser avec parcimonie, dit Andrew Grant.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a d’ailleurs proposé une alliance stratégique avec les États-Unis pour accélérer l’exploitation des minéraux critiques.

À l’heure où la Chine gagne la course à la domination dans ces ressources tout en restreignant la vente et l’expédition de minéraux critiques aux États-Unis, le Canada et l’Ontario doivent de toute urgence extraire leurs minéraux critiques […] du sol, a déclaré M. Ford lors d’une conférence de presse en janvier.

Dans le cadre de ce qu’il appelle sa forteresse Amérique-Canada, Doug Ford veut que certaines régions comme le Cercle de feu, où il y a une forte concentration de minéraux critiques, soient désignées comme des régions d’importance stratégique pour la sécurité nationale des deux pays.

Pour Mme Steyn, une des meilleures façons pour le Canada de rattraper le retard avec la Chine et de réduire notre dépendance envers ce pays serait le recyclage des minéraux. Ce serait aussi préférable pour l’environnement, croit-elle.

Malgré cela, l’ouverture de nouvelles mines sera inévitable, croit Elizabeth Steyn. Si les Canadiens veulent continuer à utiliser leurs téléphones intelligents et leurs ordinateurs, ils devront se faire à l’idée selon laquelle il faut avoir plus de mines.

Pour ce faire, le Canada doit réduire la bureaucratie qui entoure l’approbation de l’ouverture de nouvelles mines tout en maintenant de hauts standards environnementaux et en respectant les droits des communautés autochtones.

Que proposent les partis?

Les libéraux promettent de créer une alliance Canada–États-Unis pour les batteries et de développer le secteur du recyclage des piles. Ils doubleraient le crédit d’impôt pour l’exploration minière dans le cas des matériaux qui figurent sur la liste des minéraux critiques du Canada; ils ajouteraient les minéraux critiques au Crédit d’impôt à l’investissement pour la fabrication de technologies propres; de plus, ils incluraient les coûts des études techniques aux activités admissibles au titre des frais d’exploration. Ils promettent de relier les projets de minéraux critiques aux chaînes d’approvisionnement grâce à un nouveau fonds du premier et du dernier kilomètre.

Les conservateurs promettent de donner le feu vert à tous les permis fédéraux pour l’exploitation du Cercle de feu dans le Nord de l’Ontario au cours des six premiers mois. Ils s’engagent à consacrer un milliard de dollars sur trois ans pour construire une route entre le Cercle de feu et le réseau routier de l’Ontario. Les entreprises qui investissent dans le Cercle de feu pourraient verser une partie de leurs impôts fédéraux aux Premières Nations de la région.

Les verts proposent d’appliquer des règles strictes pour l’extraction de minéraux critiques et exigeraient le consentement des communautés autochtones pour toute activité minière sur leurs terres.

Si les parties ont effleuré cette question en campagne électorale, M. Grant voudrait plus d’engagements précis de la part des chefs.

Les Canadiens ne sont peut-être pas tous chauds à l’idée de verser des millions de dollars à cette industrie, mais pour M. Grant et Mme Steyn, le gouvernement n’a pas le choix d’investir davantage dans le secteur minier.

Le Canada pas seul à être ciblé

Donald Trump semble avoir dans son viseur non seulement le Canada, mais aussi l’Ukraine et le Groenland.

Dès 2019, le président américain avait suggéré l’achat du Groenland, une proposition rejetée par le Danemark. Depuis son retour à la Maison-Blanche, il menace régulièrement de prendre ce territoire danois de force.

Le Groenland est bel et bien riche en terres rares, mais celles-ci sont difficilement accessibles. Il faudrait probablement des décennies avant de commencer à extraire des métaux, sans compter que les coûts de transport rendraient cette extraction difficilement rentable.

L’exploitation minière se fait à long terme. Il faut en moyenne de 15 à 17 ans pour construire une mine. Donc, même avec des accords, Donald Trump n’aurait pas immédiatement accès aux minéraux.

Une citation deElizabeth Stein, Université de Calgary

Puis, en février dernier, le président américain a annoncé qu’il désirait obtenir 50 % des réserves de minéraux critiques et de terres rares de l’Ukraine pour pouvoir récupérer 500 milliards de dollars américains d’aide militaire fournie par les États-Unis à l’Ukraine. Il faut noter que Washington a plutôt investi 120 milliards pour aider Kiev et qu’une grande partie de cet argent a été accordé sous forme de prêts.

L’Ukraine possède des réserves de cuivre, de lithium, de cobalt et de nickel ainsi que des terres rares telles que le lanthane, le cérium et le néodyme. Toutefois, leurs quantités exactes ne sont pas connues; peu d’études géologiques y ont été faites. De plus, la majorité des gisements de terres rares sont dispersés à travers le pays, ce qui rend l’exploitation moins rentable.

Plusieurs personnes sont un peu surprises par l’intérêt des Américains pour les minéraux de l’Ukraine. Je ne pense pas que ça sera si lucratif que ça, croit M. Grant.

De plus, la majorité de ces gisements sont situés dans les zones de combat et dans les régions contrôlées par les forces russes.

Depuis, les négociations en vue d’un accord entre les États-Unis et l’Ukraine stagnent.

M. Grant note que les États-Unis tentent également de signer un accord avec la République démocratique du Congo : plus d’accès aux minéraux en échange d’aide pour combattre les rebelles.

Dans tous les cas, le problème majeur pour les États-Unis demeure le traitement de ces métaux. Même si ces ressources sont extraites, les États-Unis n’ont pas la capacité de les traiter et de les raffiner. Celles-ci devront fort probablement être envoyées en Chine.

Le département américain de la Défense s’est fixé pour objectif de créer une chaîne d’approvisionnement en terres rares complète, de la mine à l’aimant, qui puisse répondre à tous les besoins de la défense américaine d’ici 2027.

En attendant, M. Grant croit que les États-Unis n’auront pas le choix de collaborer avec le Canada pour réduire leur dépendance à la Chine.

D’ailleurs, rappelle-t-il, sous l’administration Biden, des centaines de millions de dollars ont été offerts à des entreprises canadiennes qui exploitent ou transforment des minéraux critiques, et ce, dans le but de réduire la dépendance à l’égard de la Chine.

Je pense que nous devons considérer nos minéraux critiques comme une force et un pouvoir de négociation et non comme une cible sur notre dos, ajoute Elizabeth Steyn.

Source: Radio Canada

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