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Des entreprises d’ici qui veulent prendre de l’expansion regardent plutôt vers l’ouest, le chemin vers le sud étant plus sinueux que jamais. Elles doivent toutefois composer avec certains défis pour vendre ailleurs au Canada. Parfois la distance, parfois des réglementations contraignantes.
Petit vendredi soir à Vancouver. À la fin de la journée, on veut s’offrir un plateau de fromages avec quand même une ou deux options exotiques. Pourquoi pas un Alfred le fermier ou un Louis d’or ?
Le vent en faveur des produits canadiens souffle fort en Colombie-Britannique, a constaté Nancy Portelance, qui a fondé il y a 25 ans Plaisirs gourmets. L’entreprise de Portneuf, qui représente des fromagers artisans québécois, était en mission commerciale à Vancouver le mois dernier.
Je n’ai jamais vu autant d’affichage de produits canadiens. Tu rentres dans un commerce, il y a une grosse pancarte en arrivant ; dans les magasins, il y a des drapeaux canadiens partout.
Nancy Portelance, fondatrice de Plaisirs gourmets
Contrairement au Québec, où la feuille d’érable côtoie la fleur de lys, la Colombie-Britannique met de l’avant les produits canadiens en général. « C’est du jamais-vu et c’est très fort, poursuit Nancy Portelance. Ça n’est pas passager. »
C’est le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), en collaboration avec le Bureau du Québec à Toronto, qui organisait le Rendez-vous gourmet Québec, une vitrine pour les entreprises alimentaires.
Et ça tombait pile. Ce n’est pas d’hier que Plaisirs gourmets développe le marché canadien, l’Ontario surtout, mais aussi celui de la Colombie-Britannique. La guerre commerciale avec les États-Unis vient précipiter les choses. La distributrice souhaite une croissance de 50 % pour ses fromages dans le marché canadien – les Maritimes représentent une toute petite part des ventes.
Nancy Portelance ne présente pas ses fromages québécois comme « des produits locaux » quand elle se trouve à l’autre bout du pays, mais les consommateurs qui veulent compléter leurs plateaux s’y intéressent pour remplacer un cheddar américain ou même un brie français.
L’année dernière, les ventes de fromages fins ont décliné, victimes collatérales de l’inflation alimentaire. Au début d’octobre 2024, Plaisirs gourmets a engagé un conseiller stratégique pour développer le marché canadien, dans l’optique de trouver de nouveaux clients pour les fromages artisans.
Nancy Portelance est catégorique : l’Alberta, la Colombie-Britannique et même l’Ontario restent des compléments au marché québécois. Moins de 10 % des fromages de Plaisirs gourmets quittent le Québec, mais ça reste une excellente option de développement pour des fromagers qui viennent d’investir massivement dans leurs infrastructures, autant à la fromagerie qu’à l’étable, et qui veulent poursuivre leur croissance.
Reste un défi de taille : le transport de fromages sur 4500 km est complexe. Et coûteux.
Les fromages québécois prennent la route en camion réfrigéré avec un transporteur spécialisé le jeudi et arrivent à Vancouver le lundi. Ce transport ajoute un coût additionnel non négligeable à la meule.
« Le prix peut être un frein », concède Nancy Portelance, qui dit que le marché ontarien reste privilégié face à celui des provinces de l’Ouest.
Pour le moment, seules les fromageries qui ont un permis fédéral (Agence canadienne d’inspection des aliments [ACIA]) peuvent vendre à l’extérieur du Québec.
Épurée : les patates pilées traversent les frontières
Trump nous aide beaucoup », lance Marco Gagnon, qui a fondé il y a quatre ans seulement Épurée. L’entreprise de Saint-Hyacinthe fait des purées de pommes de terre fraîches en sachet.
Avec le désintérêt des consommateurs pour les produits américains, certains se tournent vers la marque québécoise – Épurée n’utilise que des ingrédients locaux –, plutôt que de choisir son compétiteur américain, Simply Potato. Marco Gagnon a observé ce mouvement depuis quelques semaines.
Sa gamme comprend aussi des purées de brocoli, de betterave, de chou-fleur et de carotte. Des déclinaisons et d’autres purées sont en développement. Tout est vendu au Québec pour le moment, avec une proportion égale de ventes au détail et pour les « institutions » que sont les restaurants, les hôtels et autres cafétérias.
Avec l’incertitude dans laquelle on se trouve, des chaînes de restaurants m’appellent parce qu’elles ne veulent pas payer 25 % plus cher.
Marco Gagnon, fondateur d’Épurée
L’entrepreneur travaille depuis deux ans pour développer ce volet institutionnel, mais le contexte précipite les choses. Selon lui, ses ventes devraient doubler cette année dans ce créneau. « C’est là que ça se passe ! », lance-t-il, très confiant.
Mais en plus de favoriser ses ventes au Québec, la guerre commerciale aide le développement de sa marque sur le marché canadien. Il y a quelques mois, Marco Gagnon a engagé une courtière pour percer le marché de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.
Épurée a aussi participé au Rendez-vous gourmet Québec le mois dernier à Vancouver, ce qui a lancé des discussions avec un distributeur à Vancouver et un autre à Calgary.
Le transformateur fait également des purées de toutes sortes pour d’autres marques. C’est ce marché qui pourrait rapidement se développer hors Québec, puisque plusieurs fabricants canadiens qui achetaient des purées américaines cherchent présentement des solutions de rechange.
Pour la petite histoire, Marco Gagnon note aujourd’hui que ceux qui trouvaient que son nom d’entreprise se prononçait mal pour le développement des marchés anglophones se ravisent, maintenant qu’Épurée donne un bon indice qu’il vient du Québec. « On me disait que, hors Québec, mon nom français ne marcherait pas. Aujourd’hui, il n’y a aucune barrière. »
Faim Museau : avoir du flair pour ouvrir de nouveaux marchés
Il n’y a pas que les Canadiens gourmands qui pourront profiter d’une plus grande variété de produits québécois, leurs animaux de compagnie aussi. Faim museau pointe le nez vers l’ouest : cette nourriture crue pour chiens et chats vient d’amorcer un développement du côté de l’Ontario.
Faim Museau est déjà offert dans 400 points de vente au Québec. La nourriture est confectionnée depuis 2008 par Mackenzie Pet Food, de Bromont, qui fait aussi les marques de nourriture crue Karnivor et The Raw Kitchen, cette dernière étant destinée aux épiceries, aux grandes surfaces et étant maintenant offerte aux Fermes Lufa.
La nourriture crue pour animaux gagne des adeptes. Pour poursuivre son expansion, l’entreprise québécoise regarde donc du côté du Canada. Mais cela ne se fait pas sans obstacle. Le premier est une question réglementaire qui échappe probablement aux consommateurs qui magasinent les aliments de leurs animaux, mais qui change tout pour le fabricant.
Les entreprises qui confectionnent de la nourriture crue doivent avoir au Québec un permis du MAPAQ, qui porte la très peu poétique appellation de permis « d’atelier d’équarrissage ».
La norme prévoit que les transformateurs doivent travailler avec des morceaux de viande ou de poisson qui répondent aux mêmes critères que ceux destinés à la consommation humaine. Ces pièces ont donc été testées pour s’assurer qu’elles ne soient pas contaminées.
Toutefois, les fabricants de nourriture crue qui produisent dans les autres provinces n’ont pas cette norme à respecter. Ils peuvent travailler avec des ingrédients de « grade B » qui n’ont pas ce sceau de salubrité. Or, dans les animaleries, les sacs des fabricants canadiens se trouvent à côté de ceux de leurs collègues québécois.
Au-delà de la question de la salubrité, il y a clairement un enjeu de compétitivité pour Mackenzie Pet Food, estime sa fondatrice, Sarah Gravel. Elle calcule que pour un kilo de ses produits de viande de grade A qu’elle paye autour de 5 $, son compétiteur ontarien (ou albertain !) déboursera plutôt environ 0,50 $ ou 1 $. « Ce sont des parties de rejet, précise-t-elle. Nous n’avons pas le droit d’utiliser ces produits-là, alors que les autres compagnies vont utiliser ces matériaux. »
Sarah Gravel insiste : elle ne souhaite pas que les mesures de salubrité soient abaissées. « On est contentes de cette norme-là. Ce qu’on souhaiterait, c’est que les normes canadiennes soient identiques pour toutes les provinces. Qu’elles soient tirées vers le haut et qu’on utilise le grade consommation humaine. »
Il y a aussi un désavantage commercial.
Le consommateur qui va en magasin et qui voit deux beaux emballages, mon produit à 40 $ et l’autre à côté à 30 $, ne comprendra pas la différence. »
Malgré cela, le fabricant de Faim Museau met le cap sur l’ouest.
Comment viser le marché canadien avec un produit qui se vend plus cher ?
Selon la directrice de l’entreprise, Kim Gobeil, la capacité opérationnelle et l’efficacité de l’usine de Bromont permettent d’arriver à baisser le coût des aliments. Mais les marques Mackenzie Pet Food demeurent des produits de catégorie haut de gamme.
Si Faim Museau avait envie de prendre de l’expansion hors Canada, l’entreprise devrait obtenir un permis fédéral, de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, comme tous les fabricants canadiens. Justement, la fondatrice de Faim Museau participe le mois prochain à une mission commerciale d’Investissement Québec au Japon pour développer le marché asiatique.
Source: la presse