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Une fois l’identité du nouveau chef ou de la nouvelle cheffe du Parti libéral du Canada connue, après le vote de dimanche soir, plusieurs questions de taille demeureront en suspens. Jusqu’à quand le premier ministre Justin Trudeau peut-il rester en poste? Quand auront lieu les prochaines élections fédérales? La crise avec les États-Unis peut-elle influencer le calendrier électoral?
Pour mieux comprendre ce qu’il adviendra une fois que la course à la direction du PLC sera derrière nous, Radio-Canada a demandé à deux experts de commenter les différents scénarios politiques possibles. En voici cinq, du plus envisageable au moins plausible.
Scénario 1 : un chef libéral est élu, il forme un nouveau gouvernement et se fait assermenter comme nouveau premier ministre par la gouverneure générale avant la fin de la prorogation du Parlement le 24 mars.
C’est le scénario le plus probable, selon les experts, surtout si c’est Mark Carney qui remporte la chefferie libérale. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada n’étant pas un député, il va devoir assister à la relance des travaux parlementaires assis dans la galerie, une tribune généralement réservée aux non-élus, comme les journalistes ou les diplomates.
Selon nos informations, la cérémonie d’assermentation du prochain premier ministre et de son cabinet pourrait avoir lieu dès le 12 mars, mais rien n’est encore confirmé. La démission officielle du premier ministre sortant Justin Trudeau et celle de ses ministres doit être remise à la gouverneure générale Mary Simon très peu de temps avant l’assermentation du nouveau premier ministre
, est-il précisé sur le site web de la gouverneure. Cette dernière est ensuite chargée d’informer le roi Charles III des changements survenus.
Techniquement, selon Geneviève Tellier, professeure d’études politiques à l’Université d’Ottawa, rien n’empêche le successeur de Justin Trudeau d’attendre jusqu’au 23 mars, c’est-à-dire la veille de la relance parlementaire, pour dissoudre la Chambre des communes et déclencher des élections.
Cela lui permettra de s’acheter du temps, deux semaines de plus, en tant que premier ministre pour préparer la transition et surtout préparer la campagne électorale
, explique-t-elle.
La politologue affirme que la crise avec les États-Unis sur fond de guerre tarifaire fait planer beaucoup d’incertitudes sur les prochaines élections, mais elle donne l’exemple du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, qui a réussi son pari en se faisant réélire en pleine tourmente politico-économique. C’est sans doute ce qui est le plus intéressant pour les libéraux
, analyse-t-elle. Se lancer dans une campagne électorale courte sur le thème de la stabilité.
Selon Élections Canada, la période électorale doit durer entre 37 et 51 jours. Cela veut dire que, dans un tel scénario, le scrutin pourrait survenir entre la mi-avril et la mi-mai.
Scénario 2 : un chef libéral est élu, mais Justin Trudeau décide de dissoudre le Parlement et de déclencher des élections fédérales avant l’assermentation de son successeur. De ce fait, le premier ministre sortant demeure dans son poste jusqu’à la fin du scrutin, au printemps.
C’est un scénario envisageable
mais risqué pour les libéraux, affirme Mme Tellier. Je le mettrais plutôt dans la colonne des inconvénients, parce que le successeur de M. Trudeau aura les mains liées
en attendant la fin des élections.
Dans ce cas de figure, selon elle, les partis de l’opposition pourraient accuser le nouveau chef libéral d’être complètement associé à Justin Trudeau, alors que tous les candidats tentent de se dissocier
de lui.
Les conservateurs, qui semblent avoir perdu leur élan dans les intentions de vote depuis que Mark Carney mène la course à la chefferie libérale, comparent souvent ce dernier à M. Trudeau.
Ce scénario comporte toutefois un avantage, toujours selon Mme Tellier : il permettrait au nouveau chef libéral de se concentrer sur la campagne électorale et sur la transition, pendant que le premier ministre sortant se chargerait de gérer la guerre tarifaire avec les États-Unis tout en maintenant son Cabinet en place.
La cheffe de la diplomatie canadienne, Mélanie Joly, doit par exemple accueillir du 12 au 14 mars ses homologues du G7 pour une réunion ministérielle dans la région de Charlevoix, au Québec. Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, y est attendu, ce qui représenterait la première visite officielle au Canada d’un membre de l’administration Trump depuis le retour du président américain au pouvoir.
Si M. Trudeau décide de rester en poste le temps des élections, cela amènerait une certaine stabilité
dans les négociations avec les Américains, estime Mme Tellier. Cela permettrait aussi d’alléger un peu les tâches du nouveau leader libéral, qui va pouvoir s’occuper de la transition et former un nouveau gouvernement
.
En point de presse jeudi, M. Trudeau a toutefois évacué cette option, affirmant que la transition ne devrait pas prendre plus d’une semaine.
Scénario 3 : un nouveau chef libéral est élu. Il est assermenté comme premier ministre et décide de relancer les travaux parlementaires en comptant sur l’appui de certains partis de l’opposition pour faire passer des programmes d’aide d’urgence aux travailleurs et aux entreprises touchées par la guerre commerciale avec les États-Unis.
Ce scénario va dépendre de l’ampleur de la crise avec Washington, selon les observateurs, et si, par exemple, le président Trump décide d’imposer des droits de douane supplémentaires sur le Canada. Pour le moment, la situation est très volatile.
Une première vague de tarifs douaniers de 25 % a été imposée le 4 mars, puis a été suivie, le 6 mars, d’un sursis d’un mois sur l’essentiel des marchandises qui transitent sous l’ACEUM. Une autre salve doit viser distinctement les secteurs de l’acier et de l’aluminium. Des tarifs réciproques sont également prévus le 2 avril, et M. Trump a aussi menacé le Canada d’augmenter le taux des tarifs en réponse aux mesures de représailles annoncées par le gouvernement Trudeau.
Ce scénario est lié à ce que j’appelle le facteur Trump
, commente Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill. Il y a beaucoup d’incertitudes qui ont un impact sur la politique interne canadienne.
Si la crise avec les États-Unis s’amplifie encore davantage, l’idée de ne pas avoir d’élections rapidement va peut-être gagner du terrain
, explique le politologue. Selon lui, le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a pourtant déchiré son entente avec les libéraux, pourrait dire qu’il vaut mieux favoriser l’unité en ce moment au lieu de se disputer en pleine campagne électorale
.
Depuis des mois, tous les partis d’opposition affirment qu’ils voteront en faveur d’une motion de censure pour faire tomber le gouvernement libéral minoritaire à la première occasion
. Le chef du NPD a toutefois laissé entendre à plusieurs reprises qu’il serait prêt à appuyer temporairement le gouvernement Trudeau au Parlement pour faire passer des programmes d’aide aux travailleurs touchés par la guerre tarifaire.
Mme Tellier souligne cependant que ce scénario n’est pas sans risque pour les libéraux, affirmant qu’il n’y a aucune garantie qui obligerait les néo-démocrates à soutenir encore les libéraux au Parlement. Le NPD pourrait changer d’idée à la dernière minute
, dit-elle. La preuve, c’est que les néo-démocrates ont déchiré leur entente avec le PLC avant la date d’expiration de l’accord. Alors rien n’est certain.
Scénario 4 : un nouveau chef libéral est élu et est assermenté comme premier ministre. Il ne déclenche pas d’élections avant la fin de la prorogation du Parlement le 24 mars et son nouveau gouvernement tombe à la suite d’une motion de censure.
Ce scénario est moins probable, mais pas impossible
, commente M. Béland. Ce ne serait pas bon politiquement pour les libéraux
, surtout si c’est Mark Carney qui remporte la chefferie libérale et que son nouveau Cabinet tombe pendant qu’il est assis sur les gradins arrière, explique le politologue. Ce ne sera pas bien perçu.
Mme Tellier offre toutefois un point de vue divergent, affirmant que le successeur de Justin Trudeau pourrait stratégiquement
profiter d’un tel scénario.
Ce qu’il aurait à gagner, c’est de venir en Chambre avec un nouveau discours du Trône, dans lequel il présente ses idées à la population canadienne, et de dire ensuite : « Voilà ce que je voulais faire, les autres partis n’en voulaient pas »
, explique-t-elle.
Est-ce qu’il pense pouvoir tirer avantage
de ce cas de figure?, demande-t-elle. C’est la question.
Scénario 5 : un nouveau chef libéral est élu, mais Justin Trudeau décide de rester en poste comme premier ministre par intérim jusqu’à la date initiale des élections en automne.
Un scénario qui ne serait possible que si le gouvernement Trudeau survit à un vote de confiance au Parlement d’ici au 20 juin, dernier jour des travaux parlementaires avant le congé estival de la Chambre des communes.
La probabilité qu’un tel scénario se produise est toutefois extrêmement faible, selon les experts.
Tout d’abord, M. Trudeau a dit qu’il ne le ferait pas
, dit Mme Tellier. C’est très rare qu’il dise une chose publiquement et qu’il fasse ensuite le contraire. Alors, j’ai plutôt l’impression qu’il va démissionner de lui-même, sans qu’on lui demande de le faire.
Aussi, ça serait embêtant pour son successeur parce qu’on a vu que ça n’allait pas bien dans les sondages pour les libéraux
avant la démission de Justin Trudeau, ajoute-t-elle. Donc, je pense que ça serait la pire option politiquement.
Même constat du côté de M. Béland, qui estime que ce scénario poserait un problème majeur pour les libéraux
. Lorsqu’il a annoncé sa démission, le 6 janvier, M. Trudeau a dit qu’il céderait sa place au nouveau leader libéral
, rappelle-t-il. S’il ne le fait pas, il reviendrait sur sa parole et plusieurs personnes seraient mécontentes.
On voit dans les sondages que les libéraux font beaucoup mieux avec Mark Carney comme leader qu’avec Justin Trudeau, dit-il encore. Si M. Trudeau reste en place, M. Carney deviendrait un chef qui attend dans les coulisses […] alors que les libéraux devraient plutôt profiter de l’effet Carney et surfer sur la vague du tout nouveau, tout beau.
M. Béland rappelle, par ailleurs, qu’il y a déjà eu des précédents, notamment avec l’ancien premier ministre John Turner qui a remporté la chefferie libérale après la démission de Pierre-Elliott Trudeau en 1984, et la progressiste-conservatrice Kim Campbell qui était devenue la première femme à accéder à ce poste en 1993 à la suite de la démission de Brian Mulroney.
Dans les deux cas, lorsque M. Turner et Mme Campbell sont devenus chefs, leur parti respectif est monté dans les sondages, mais il est ensuite retombé plus tard pendant la campagne électorale
, survenue plusieurs mois plus tard.
Selon lui, c’est pour cette raison-là que c’est dans l’intérêt des libéraux d’organiser des élections rapidement avec une campagne de courte durée parce qu’ils ne voudraient pas perdre le momentum
.
Mais quoi qu’il arrive, toujours selon M. Béland, il faudra rester attentif à la politique américaine qui risque de chambouler le calendrier politique au Canada. Il y a tellement de choses qui peuvent se produire au cours des prochaines heures et des prochains jours que c’est devenu très difficile de faire des prédictions
, prévient-il.
Source: Radio Canada