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Boycotter Amazon, Airbnb et les produits américains en général n’est pas si simple pour les municipalités qui veulent adopter ce type de mesure. Mais comment peuvent-elles dès maintenant agir devant les tarifs douaniers que veut imposer le président Donald Trump?
La Fédération québécoise des municipalités (FQM) interpelle Québec pour modifier la législation afin de donner plus de pouvoirs aux municipalités qui souhaitent boycotter des produits et services américains.
Les élus du conseil municipal de Sainte-Luce ont d’ailleurs fait un premier pas en ce sens en adoptant une résolution le 3 février dernier pour restreindre les achats provenant du sud de la frontière, sauf exception.
On souhaite vraiment faire tout ce qu’on peut comme municipalité pour supporter ces entreprises [locales]
, avait alors justifié la mairesse de Sainte-Luce, Micheline Barriault.
Le président de la FQM, Jacques Demers, salue l’initiative. Moi, je trouve ça intéressant quand je vois ce genre de réaction là.
C’est une réaction qui, je l’espère, n’est pas à court terme pour tout le monde. Le but, c’est de faire de l’achat local, que ce soit avec ce qu’il s’est passé pendant la pandémie ou maintenant avec les Américains
, poursuit celui qui est également maire de Sainte-Catherine-de-Hatley et préfet de la MRC de Memphrémagog, en Estrie.
Québec invite les municipalités à acheter local
Dans ce contexte, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a d’ailleurs interpellé les municipalités jeudi dernier pour qu’elles achètent localement. Québec a même fourni un guide des bonnes pratiques (Nouvelle fenêtre) s’adressant aux administrations municipales pour favoriser les entreprises canadiennes.
De fait, la valeur totale des contrats municipaux pour l’année 2023-2024 s’élevait à plus de 19 milliards de dollars; il s’agit d’une somme colossale qui peut être investie dans notre économie locale et régionale.
Et Amazon, dans tout ça?
Les achats des municipalités sont constitués, par exemple, de bureaux, de chaises, de papeterie, d’appareils électroniques et de chargeurs. À titre indicatif, la Ville de Rimouski a dépensé environ 12 000 $ sur Amazon entre janvier et octobre 2024, notamment pour des articles technologiques.
C’est ce que confirme par écrit le conseiller aux communications et relations médias pour la Ville, Frédéric Savard. Il indique que ces achats sont effectués sur Amazon puisque les produits ne sont pas disponibles chez des fournisseurs locaux
.
Bien entendu, nous privilégions les achats locaux.
Dans la foulée du départ d’Amazon du Québec et de l’imposition de tarifs douaniers, certaines villes ont décidé de ne plus effectuer de commandes auprès du géant de l’achat en ligne. C’est le cas notamment de la Ville de Montréal, d’Alma et de Nicolet (Nouvelle fenêtre).
La Fédération québécoise des municipalités remarque un mouvement de solidarité au Québec. C’est partout. Surtout quand on leur parle d’Amazon, ça semble être une cible pour plusieurs
, constate Jacques Demers.
Mais en même temps, on veut être prudents, parce que des produits locaux se vendent sur Amazon
, tempère M. Demers. Il ajoute que la FQM veut donner des outils aux municipalités qui considèrent adopter ce genre de solution.
La FQM veut modifier la Loi sur les cités et villes. Les modifications proposées ne concernent pas les achats de gré à gré — comme c’est le cas à Sainte-Luce —, mais bien les critères pour les appels d’offres.
En d’autres mots, une municipalité peut décider d’acheter un produit canadien plutôt qu’un produit américain pour tous ses achats en deçà de 133 800 $. Au-delà de ce seuil établi par le gouvernement du Québec, l’appareil municipal doit actuellement passer par un appel d’offres, et est ainsi soumis à la contrainte du plus bas soumissionnaire conforme, peu importe sa provenance.
La Fédération propose donc à Québec deux modifications à la Loi sur les cités et villes pour les appels d’offres. La première est une majoration de 25 % sur les soumissions américaines et la seconde est un système de pointage qui désavantagerait les entreprises américaines.
Les municipalités auraient toutefois le loisir d’adopter ou non ces mesures, précise Jacques Demers. On ne veut pas faire de mur-à-mur.
D’autant plus que les achats municipaux dépassent rarement ce montant.
Dans un moment où tout le monde dit qu’il faut faire des achats plus local, il faut se donner les coudées franches pour pouvoir avancer dans ce dossier-là
, insiste-t-il.
Une riposte astucieuse, oui, mais…
Dans un contexte de guerre commerciale qui se profile, la manière de déjouer la menace de tarifs est de planifier ses coups, comme dans un jeu d’échecs. C’est du moins la comparaison utilisée pour vulgariser ces enjeux par la professeure associée à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal Danielle Pilette.
On ne peut pas exclure des fournisseurs américains dans ces cas d’appels d’offres publics
, prévient-elle. Elle propose donc en quelque sorte de mettre des bâtons dans les roues des entreprises américaines avec des critères objectifs au profit des entreprises locales.
Pour entrer sur le marché américain avec du homard, il faut répondre à des critères sur la taille que très peu d’entreprises canadiennes peuvent se permettre
, cite à titre d’exemple Danielle Pilette, en ajoutant que le homard canadien est plus petit en raison des eaux plus froides.
Les municipalités peuvent donc adopter ce genre de stratégie, selon elle. La professeure met toutefois en garde que l’octroi de contrats municipaux doit rester transparent.
Il y a très peu de personnes qui n’étaient pas méfiantes en matière de gestion contractuelle depuis 10 ans. On a tellement resserré les règles de la gestion contractuelle après la commission Charbonneau
, rappelle Danielle Pilette.
Quant au changement législatif demandé par la Fédération québécoise des municipalités, il pourrait se retrouver dans un projet de loi qui devrait être déposé dans les prochaines semaines, selon les informations du président de la FQM, Jacques Demers.
Source: Radio Canada