Assahafa.com
« Strong and free », lit-on. Le passage de l’Ô Canada est inscrit au-dessus de l’image d’un drapeau unifolié. Y a-t-il une élection partielle et personne ne nous a prévenu ?
Dans Windsor–Tecumseh, circonscription limitrophe du Michigan, c’est plutôt une réponse à la rhétorique de Donald Trump, qui a parlé du Canada comme du 51e État américain, mais surtout, qui a évoqué de possibles tarifs douaniers sur les produits canadiens.
« On en a commandé 200, et on a invité nos concitoyens à venir en chercher, raconte à La Presse Irek Kusmierczyk, dans son bureau de circonscription. On se disait que lundi était une bonne journée pour afficher ça. »
La « bonne journée », c’était celle de l’investiture de Donald Trump comme président des États-Unis. Son retour au pouvoir s’accompagne d’un nuage sur l’économie canadienne : des tarifs douaniers de 25 %, possiblement à compter du 1er février. C’est du moins la date qu’il a évoquée, sans non plus l’affirmer clairement.
Dan MacIntyre, un retraité de Chrysler, était justement de passage pour récupérer une pancarte. Les tarifs « feraient monter les prix de certains articles, croit-il. Mais ce qui me fait peur, c’est qu’il parle de prendre le contrôle du Canada. Ça signifierait la fin de mes programmes sociaux et en tant qu’aîné, j’en ai besoin ! »
Les tarifs ne semblent guère l’émouvoir, mais Irek Kusmierczyk, lui, prend la menace au sérieux. « Dans notre communauté, 90 % de ce qu’on produit et qu’on cultive est exporté aux États-Unis. Donc un tarif de 25 % constitue une menace existentielle », précise l’élu.
La semaine dernière, M. Kusmierczyk a rencontré Gretchen Whitmer, gouverneure démocrate du Michigan. Whitmer n’est pas exactement une alliée du nouveau président, mais qu’importe.
« Le Michigan est très important pour Trump, souligne M. Kusmierczyk. Les travailleurs du Michigan vont ressentir les contrecoups des tarifs. Donald Trump va l’entendre directement d’eux. Mais on espère que ça ne se rendra pas jusque-là. »
Aux yeux de l’élu, les tarifs sont bel et bien une menace, « basée sur une incompréhension de l’intégration de nos économies ». En 2021, l’État du Michigan estimait que 30 % des 664 milliards de dollars de biens échangés entre le Canada et les États-Unis transitaient par le pont Ambassador, qui relie Windsor et Detroit.
Pas de panique
La circulation s’active autour de la pharaonique usine Stellantis. Le quart de travail de 15 h est fini depuis 10 minutes. Celui de 15 h 30 commence dans 20 minutes.
Dans le stationnement, les travailleurs qui entrent et sortent ne sont toutefois guère loquaces. Le mercure avoisinant les -15 n’incite pas non plus à s’arrêter.
« Je ne parle pas aux médias », dit l’un. « Je ne suis pas la bonne personne à qui parler », répond un autre. Un troisième se dira « en retard » pour son quart de travail.
Ronald, un Autrichien de naissance dans la jeune vingtaine, s’arrête une minute. « Je suis un fan de Trump, honnêtement. Les tarifs, ça ne m’affecte pas vraiment, car je ne sais pas si je serai au Canada encore longtemps », explique-t-il.
Un autre travailleur refuse de s’identifier. Il dit travailler à l’usine depuis neuf ans. « J’essaie de ne pas trop regarder les nouvelles, car ce sont toujours de mauvaises nouvelles. Mais Donald Trump voit aux intérêts de son pays, c’est compréhensible », fait-il valoir.
« Rien ne dit que les tarifs seront appliqués. Dans les médias, je lis : les tarifs seront implantés le 1er février. Mais Trump dit : je pense que je vais le faire. Je suis de nature optimiste. Si ça arrive, il faudra être préparé, économiser son argent et ne pas acheter le nouveau téléphone même si on le veut. »
Brian Masse, député du Nouveau Parti démocratique (NPD) dans la circonscription voisine de Windsor-Ouest, rigole quand nous lui rapportons nos interactions. Lui-même ancien employé de cette usine, il rappelle que les employés sont tenus d’être à leur poste à 15 h 30 précises, « parce que la chaîne de production va partir, quoi qu’il arrive ! »
Mais Brian Masse est également critique du NPD en matière de relations frontalières. Comme son homologue libéral, il ne croit pas que Donald Trump bluffe.
« Il va faire de quoi, comme lors de son dernier mandat, croit M. Masse. J’étais député quand il a imposé des tarifs sur l’acier et l’aluminium. Ça avait d’ailleurs fait mal au Québec. »
Le secteur automobile, omniprésent dans la région, représente 10 % du produit intérieur brut industriel du Canada et 21 % du commerce manufacturier, selon Ottawa. « Quand tu as un secteur aussi important, ça vient avec une grappe industrielle complémentaire, rappelle Brian Masse. Une pièce d’auto peut passer du Canada aux États-Unis, et vice versa, sept fois. Les pièces sont comme les oiseaux et les poissons, elles n’ont pas de nationalité. »
Dans les circonstances, lui aussi s’active avec ses homologues américains pour dissuader Washington. Dans son cas, c’est avec Rashida Tlaib, élue du Michigan à la Chambre des représentants, qu’il a rencontrée lundi.
« Elle présente ça comme la taxe de Trump. Tout tarif deviendra une taxe, c’est le consommateur qui va payer, estime M. Masse. On va souffrir, mais eux aussi, par des prix plus élevés, moins de choix, donc moins de compétition. On dirait qu’on a oublié d’expliquer le capitalisme à Donald Trump. »
Des entrepreneurs inquiets
Steve Ondejko, propriétaire d’Onfreight Logistics, une entreprise de transport, est dans le camp des sceptiques, surtout si Ottawa devait répliquer avec ses propres tarifs.
« La dernière chose qu’il faut faire, c’est provoquer ce gars-là, lance-t-il en parlant de Donald Trump. On arrive à un combat de couteaux armé d’un fusil et on ne sait même pas si on en aura besoin.
« Ça va faire mal aux économies des deux pays, surtout si on réplique, concède-t-il. Mais je pense que c’est stratégique. Plusieurs de mes clients sont en mode attente, et non pas en réaction. Le Canada exporte beaucoup de pétrole aux États-Unis. Voudront-ils vraiment imposer un tarif de 25 % là-dessus ? Je ne pense pas, parce que ça va faire augmenter le coût de la vie des Américains. »
Steve Colasanti, lui, est plus craintif. À la tête depuis 15 ans de Colasanti Controls, entreprise familiale de réparation de pièces, il s’attend à du chaos au moins jusqu’aux élections de mi-mandat de 2026, puisque les républicains contrôlent le Sénat et la Chambre des représentants d’ici là.