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La délicate diplomatie que le Canada tente d’engager avec l’administration Trump 2.0 a pris une nouvelle tournure lundi, lorsque le premier ministre Justin Trudeau a annoncé qu’il démissionnerait de son poste dès qu’un nouveau chef libéral serait choisi.
La décision de M. Trudeau, bien qu’attendue après des semaines de pression croissante de la part de son propre caucus, apporte de l’instabilité à Ottawa au moment même où le Canada tente de dissiper la menace de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers qui seraient dévastateurs pour l’économie.
Pour être bien franc, je ne pense pas qu’un changement de direction puisse survenir à un pire moment dans nos relations bilatérales
, a estimé lundi Fen Osler Hampson, professeur d’affaires internationales à l’Université Carleton, à Ottawa, et coprésident du Groupe d’experts sur les relations canado-américaines.
Nous avons un fusil sur la tempe avec les menaces de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers de 25 % au Canada et au Mexique. La question clé est évidemment : qui parle au nom du Canada?
Aucune date pour la course à la direction du Parti libéral n’a encore été fixée, mais M. Trudeau a également prorogé le Parlement jusqu’au 24 mars, et plusieurs s’attendent à ce qu’un nouveau chef ou une nouvelle cheffe soit en place avant cette date.
Batailles intestines
Justin Trudeau a déclaré qu’il se retirerait parce que le conflit interne au sein de son parti au sujet de son leadership était devenu une distraction et que les Canadiens méritaient un choix clair lors des prochaines élections.
La Maison-Blanche a décrit lundi M. Trudeau comme un ami fidèle
des États-Unis. La porte-parole, Karine Jean-Pierre, a déclaré aux journalistes à bord d’Air Force One que le président Joe Biden était reconnaissant du partenariat de M. Trudeau et de son engagement à défendre l’Amérique du Nord contre les menaces géopolitiques du 21e siècle
.
Le futur président Trump a cependant répondu à l’annonce de M. Trudeau en disant que le premier ministre démissionnait parce qu’il savait que les États-Unis ne toléreraient pas de déficits commerciaux avec le Canada. Il a aussi soutenu que de nombreux Canadiens adoreraient
que le Canada devienne le 51e État américain.
Les États-Unis ne peuvent endurer d’énormes déficits commerciaux et les subventions dont le Canada a besoin pour se maintenir à flot
, a écrit M. Trump sur son réseau social Truth Social après l’annonce du premier ministre à Ottawa. Justin Trudeau le savait et il a démissionné
, a écrit le républicain, qui entrera en fonction le 20 janvier.
M. Trump a par ailleurs repris sa nouvelle rhétorique sur une éventuelle annexion du Canada aux États-Unis, en plaidant qu’il n’y aurait pas de tarifs douaniers et que les impôts seraient moins élevés au Canada. Il estime aussi que les Canadiens seraient totalement en sécurité face aux menaces des navires russes et chinois qui les entourent en permanence
.
Ensemble, quelle grande nation ce serait!!!
, a-t-il conclu.
Des gestes plus menaçants
Cette réaction de M. Trump s’inscrit dans la foulée de ses efforts récurrents pour provoquer M. Trudeau et les Canadiens depuis sa victoire aux élections de novembre dernier.
Le président élu a déjà qualifié M. Trudeau de gouverneur du Canada
et il répète périodiquement cette rhétorique du « 51e État » depuis que le premier ministre est venu le rencontrer dans sa propriété de Mar-a-Lago, en Floride, en novembre dernier.
Trump s’attribuera le mérite de tout et transformera tout en une occasion de se faire mieux paraître
, a estimé Laura Dawson, experte des relations entre le Canada et les États-Unis et directrice de la Future Borders Coalition, un organisme bilatéral.
Les plaisanteries de M. Trump mises à part, les gestes posés par le nouveau président pourraient avoir de réelles conséquences pour le Canada. Le républicain a menacé d’appliquer des tarifs douaniers de 25% sur toutes les marchandises canadiennes, à moins que la frontière soit renforcée pour endiguer le flux de migrants et de drogue
vers les États-Unis.
Le Canada a ensuite annoncé une série de mesures visant à resserrer la frontière, avec un programme de 1,3 milliard $. M. Trump n’a toutefois pas réagi.
Le temps presse
Justin Trudeau a assuré lundi que son gouvernement resterait concentré sur la défense des intérêts canadiens pendant une course à la chefferie libérale, qui pourrait inclure des ministres qui ont travaillé sur le dossier canado-américain. Le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, et sa collègue aux Affaires étrangères, Mélanie Joly, sont tous deux pressentis comme des candidats potentiels à sa succession.
La professeure Dawson est moins optimiste. Ottawa était déjà en retard dans sa réponse aux inquiétudes concernant la relation avec le plus grand partenaire commercial du Canada, a-t-elle déclaré. Plus de 77 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis.
Ottawa passe maintenant d’une lenteur à une impasse totale jusqu’en mars [2025], nous ne pouvons vraiment pas nous permettre d’avoir ce fossé entre les dirigeants qui dure aussi longtemps
, a-t-elle déclaré.
Des observateurs rappellent également que Donald Trump ne négocie qu’avec des personnes qui ont du pouvoir et que M. Trudeau est essentiellement un canard boiteux
. Le professeur Hampson estime que M. Trump ne perdra pas son temps avec Ottawa
.
Cela signifie, selon lui, que les premiers ministres des provinces devront porter une plus grande part du fardeau bilatéral, et qu’une approche unifiée est essentielle.
Source: Radio Canada