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Vous ne trouverez pas d’économistes qui vous diront que l’envoi de chèques, comme Justin Trudeau veut le faire au printemps, relève d’une bonne gestion de nos impôts. Il est vraiment difficile de considérer que des chèques de 250 $, envoyés à presque tout le monde au pays, sont le fruit d’une utilisation efficace, raisonnable et réfléchie des fonds publics.
La suspension de la taxe sur les produits et services (TPS) à partir de samedi, et jusqu’au 15 février, et la remise éventuelle de 250 $ pour tous les travailleurs qui ont gagné moins de 150 000 $ en 2023, ressemblent plus à un coup de poker politique du premier ministre, à une idée improvisée sur un coin de table, qui n’a que pour objectif de faire bouger l’aiguille des sondages.
Le public n’est pas dupe cependant : les Canadiens savent très bien que ces décisions sont davantage liées au climat politique qu’à l’enjeu réel du coût de la vie et de l’inflation.
Bien sûr, une bonne partie des contribuables ne diront pas non à quelques économies sur leur facture du temps des Fêtes ou ne refuseront certainement pas un chèque, qui est non imposable, de surcroît. Comme me l’écrivait un téléspectateur la semaine passée, et je paraphrase : Merci, je vais prendre le chèque, mais je vais voter pour le Bloc!
Autrement dit, tout le monde aime la tarte aux pommes, mais ça ne veut pas dire qu’on va s’acheter un verger!
Le problème avec ces mesures, c’est qu’elles ne s’appuient pas sur des fondements fiscaux et économiques solides. Donc, je m’imagine mal que la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland, qui cherche à mieux contrôler les dépenses de son gouvernement, et qui va finalement présenter une mise à jour économique lundi prochain, a pu être d’accord avec le début du commencement de ces propositions du bureau du premier ministre.
D’ailleurs, le Globe and Mail rapportait mardi matin que les experts du ministère des Finances jugeaient les mesures annoncées comme étant imprudentes, et que les relations entre Chrystia Freeland et le bureau de Justin Trudeau s’étaient refroidies. Mon collègue Louis Blouin à Ottawa nous rapportait à Zone info mardi qu’il y a eu des échanges robustes
entre le bureau de la ministre Freeland et celui du premier ministre Trudeau.
Pourquoi offrir un congé de TPS et des chèques?
Les taux d’intérêt baissent, l’inflation est revenue à un niveau normal et le chômage demeure relativement faible. Mais beaucoup de Canadiens ont été frappés de plein fouet par la hausse du coût de la vie de 2021 à 2023, et le gouvernement juge qu’il faut encore soutenir financièrement les Canadiens.
Il est tout à fait approprié de venir en aide directement aux ménages qui souffrent de la hausse du coût de la vie. Mais, si d’aventures, nous devions considérer que la très grande majorité des Canadiens ont besoin de cette aide, ne serait-il pas davantage approprié de repenser nos programmes de soutien? Ne serait-il pas plus raisonnable d’agir de façon beaucoup plus fondamentale si le gouvernement évalue que trop de Canadiens souffrent de la situation économique?
Pourquoi ne pas bonifier la Sécurité de la vieillesse pour les 65 à 74 ans, comme on l’a fait pour les personnes de 75 ans et plus? Pourquoi ne pas rehausser les prestations de l’Allocation canadienne pour enfants, celles pour les travailleurs, les prestations d’assurance-emploi, le crédit pour la TPS, les aides pour les familles, les personnes à faibles revenus et/ou les personnes vulnérables? Pourquoi ne pas revoir les échelons d’impôt?
Pourquoi adopter des mesures temporaires qui vont bénéficier aussi aux personnes à revenus élevés? En quoi est-ce une bonne mesure fiscale et économique?
Une tendance inquiétante
Ce qu’a décidé le gouvernement Trudeau soulève de sérieuses questions sur cette tendance des politiciens à se servir des fonds publics à des fins électoralistes. Un rappel à l’ordre s’impose, plus que jamais, parce que Justin Trudeau n’est pas le premier politicien à faire appel à la politique du chèque.
Bien avant la Remise pour les travailleurs canadiens du gouvernement Trudeau, Stephen Harper a envoyé, en juillet 2015, un paiement de 520 $ aux ménages pour chaque enfant de moins de 6 ans, et de 420 $ pour chaque enfant de 6 à 17 ans. C’est 3,8 millions de familles au pays qui ont pu bénéficier de cette bonification, tombée trois mois avant le scrutin électoral d’octobre 2015.
En 2022, également dans le contexte d’une année électorale, plusieurs chèques ont été délivrés par le gouvernement de François Legault : d’abord en début d’année, des chèques de 200 à 275 $ pour les personnes et les aînés à faibles revenus, puis, dans le budget, des chèques de 500 $ pour 6,4 millions de Québécois et, en fin d’année, d’autres chèques de 400 à 600 $ pour 6,5 millions de contribuables. Encore là, ces choix ont été critiqués, bien qu’ils avaient l’avantage de se dérouler dans un contexte de forte inflation, au sortir de la pandémie.
Le premier ministre de l’Ontario Doug Ford a annoncé, à la fin octobre, que tous les contribuables, peu importe leur revenu, auront droit à un chèque de 200 $ au début de 2025. Les parents toucheront également 200 $ par enfant. Cette annonce se produit à un moment où Doug Ford serait tenté de déclencher des élections anticipées.
Faut-il le rappeler, ces chèques viennent de l’argent des contribuables, qui confient une bonne partie de leurs revenus de travail à leurs élus pour financer les services publics. Tout le monde s’attend à ce que cet argent soit bien géré, avec prudence et avec vision, dans l’intérêt de l’ensemble des citoyens.
Est-il vraiment approprié qu’en période préélectorale, des politiciens choisissent de piger dans le trésor pour distribuer des chèques à un nombre aléatoire et choisi de contribuables, peu importe les niveaux de revenus, en période déficitaire, avec une inflation normale et une l’économie en croissance?
N’est-ce pas d’alimenter le cynisme de la population quand les gens voient les décideurs utiliser l’argent public à des fins électoralistes, sans se soucier de l’impact sur les finances publiques?
Source: Radio Canada