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Si des sociétés de livraison font des affaires d’or en offrant des services de remplacement, de petites entreprises vivent des moments particulièrement angoissants, prises avec des colis qui s’empilent.
Normalement, l’ambiance est plutôt joyeuse en décembre chez Bonnetier.
Le fabricant de vêtements de sport en laine est en pleine ascension : fondée il y a 11 ans, la PME s’est lancée dans la conquête du marché européen il y a six ans. Et les affaires vont plutôt bien puisque les vêtements fabriqués à Boucherville sont offerts dans les magasins d’une grande chaîne française d’articles de sport, Au vieux campeur.
Le tiers des ventes en ligne de Bonnetier part vers l’Europe.
Sauf que ces envois sont complètement à l’arrêt depuis quelques jours. La grève à Postes Canada met la PME québécoise dans une situation de gestion de crise.
« Là, on est face à un mur », confie la propriétaire de Bonnetier, Isabelle Marcotte.
La grève dure depuis un peu plus de deux semaines. En temps normal, Postes Canada permet à Bonnetier d’expédier de la marchandise en France pour environ 20 $ ou 25 $. Les clients payent des frais de dédouanement d’une quinzaine de dollars, détaille Isabelle Marcotte.
Au début du conflit de travail à Postes Canada, Bonnetier a tenté de faire parvenir les achats aux clients européens avec un autre service. « Les transporteurs privés nous facturent environ 80 $ par envoi et nos clients doivent assumer des frais de dédouanement de 40 euros », précise Isabelle Marcotte.
Pour une commande de 200 euros, un client français s’est retrouvé avec des frais supplémentaires de près de 100 euros, car il devait payer aussi la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 20 %. En plus, il y avait des retards…
Alors, bien évidemment, le client a refusé son colis, qui a été retourné à Boucherville. Perte sèche pour l’entreprise québécoise qui a quand même payé les frais de livraison. La situation s’est multipliée, forçant la PME à carrément arrêter les livraisons vers la France. « On ne peut pas fâcher nos clients comme ça », dit Isabelle Marcotte.
Ça n’est pas tout : pour les achats et les envois au Canada, c’est maintenant la course aux remplaçants. Jeudi, les employés de Bonnetier s’affairaient à décoller les étiquettes sur une partie des colis parce que le service de livraison ne pouvait plus les prendre.
« C’est complètement saturé », dit Isabelle Marcotte, qui précise que le Vendredi fou et le Cyberlundi ont provoqué un goulot d’étranglement chez les entreprises de livraison.
Cette situation chaotique mine le moral des troupes, déplore Isabelle Marcotte, dans une PME qui était en croissance. Bonnetier craint que cela laisse des traces dans les partenariats d’affaires tissés au fil du temps aussi bien avec des clients qu’avec des détaillants.
La grève à Postes Canada met en péril nos efforts d’exportation et notre réputation auprès de notre clientèle française.
Isabelle Marcotte, présidente de Bonnetier
Dur coup avant Noël
À la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), l’heure n’est pas aux réjouissances, mais au calcul.
Selon le regroupement, la grève à Postes Canada coûte plus de 76 millions par jour aux entreprises canadiennes. « À ce rythme, la grève aura coûté plus de 1 milliard de dollars aux PME d’ici mercredi prochain », indique le regroupement.
Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales de la FCEI, déplore le manque d’engagement politique à l’égard de ce conflit de travail. « Il y a une distance apparente entre ce conflit et le ministre du Travail », dit-il.
« L’impression que ça donne, c’est que les coûts actuels ne sont pas assez importants », insiste Jasmin Guénette.
Pourtant, il y a plein de témoignages d’entrepreneurs qui disent qu’ils perdent des ventes et que les opérations sont mises sur pause parce que le modèle d’affaires repose sur l’envoi de lettres et de colis.
Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales de la FCEI
Selon lui, Noël qui approche rend la situation extrêmement difficile pour les entreprises locales qui peinent à trouver un service de livraison, alors qu’un géant américain qui a son propre service peut poursuivre ses activités ici sans souci.
La Fédération a sondé ses membres pour mesurer l’impact du conflit de travail à Postes Canada : 41 % des entreprises ont déclaré subir des contrecoups financiers. Certaines vont se retrouver dans une situation de trésorerie précaire et devront prendre des prêts à court terme, selon Jasmin Guénette.
Tout près de sept entreprises sur dix (69 %) veulent que le gouvernement adopte une loi spéciale de retour au travail.
« Le ministre a le devoir d’intervenir », insiste Jasmin Guénette
Pour les plus petits détaillants, l’année se passe durant la saison des Fêtes.
Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales de la FCEI
Selon la Fédération, la grève a eu un impact négatif sur les trois quarts des PME canadiennes.
Parmi elles, Les Mauvaises Herbes, entreprise montréalaise qui fabrique des produits naturels et vend également les matières premières pour en fabriquer soi-même.
« Postes Canada, c’était 75 % de nos envois », dit Marie Beaupré, l’une des propriétaires et fondatrices des Mauvaises Herbes.
Non seulement les tarifs de Postes Canada sont compétitifs, mais la société dessert les régions éloignées, précise l’entrepreneure.
Avec la plateforme Envoi Québec, Les Mauvaises Herbes réussissent à travailler avec différents transporteurs.
« Mais même avec cette flexibilité, il y a des situations où Postes Canada est tout simplement irremplaçable, précise Marie Beaupré. Par exemple, cette semaine, une cliente de Whitehorse au Yukon a passé une commande d’environ 100 $. Avec Postes Canada, l’envoi aurait coûté autour de 13 $. »
Le transport de remplacement le moins cher qui a été trouvé coûtait près de 50 $.
« On doit donc contacter la cliente pour savoir si elle veut payer un surplus, attendre la fin de la grève, ou annuler sa commande. Ce genre de gestion prend du temps et met de la pression sur notre équipe, dans notre période la plus intense de l’année.
« Cette grève-là nous rappelle à quel point Postes Canada est essentielle pour les petites entreprises et les régions éloignées. »
Source: la presse