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Le gouvernement Legault obligera les médecins formés au Québec, omnipraticiens ou spécialistes, à pratiquer dans le réseau public pendant les cinq premières années de leur carrière, sous peine d’importantes pénalités financières.
Un projet de loi à cet effet a été déposé mardi après-midi, en cette dernière semaine de travaux à l’Assemblée nationale, par le ministre de la Santé, Christian Dubé. Il sera étudié en 2025.
En agissant de la sorte, Québec espère freiner l’exode des médecins vers le privé, un phénomène en pleine croissance.
Le projet de loi 83 (Loi favorisant l’exercice de la médecine au sein du réseau public de la santé et des services sociaux) prévoit notamment des amendes salées pour les contrevenants. Celles-ci varieront de 20 000 $ à 100 000 $ par jour et par acte; elles doubleront en cas de récidive.
Le ministre Dubé avait donné un avant-goût de son projet de loi le mois dernier. Il avait alors annoncé son intention d’obliger les nouveaux médecins à pratiquer dans le réseau public, sans préciser la durée de cette exigence.
Questionnés à ce sujet mardi matin, les trois autres partis représentés à l’Assemblée nationale se sont dits d’accord sur le principe, précisant toutefois qu’ils devraient étudier le projet de loi en détail avant de se prononcer.
Dans une sortie récente en faveur du public, le Collège des médecins avait aussi estimé que les nouveaux diplômés en médecine ne devraient pas être autorisés à pratiquer au privé au début de leur carrière. Son président avait évoqué une interdiction de 10 ans, précisant que cette durée serait à discuter
.
À l’heure actuelle, 775 des 22 479 médecins du Québec travaillent exclusivement au privé. Il s’agit d’une hausse de 70 % depuis 2020, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux.
Pas de trace de la disposition de dérogation… pour l’instant
Le premier ministre François Legault réfléchit depuis longtemps à interdire aux nouveaux médecins de pratiquer au privé. Il avait notamment flirté avec cette idée au tournant des années 2000, au moment où il était ministre de l’Éducation dans les gouvernements péquistes de Lucien Bouchard et de Bernard Landry.
À l’époque, M. Legault voulait obliger les nouveaux médecins qui déménageaient en Ontario ou aux États-Unis à rembourser le coût de leur formation. Il craignait toutefois telle mesure n’enfreigne l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le mois dernier, le premier ministre a d’ailleurs laissé entendre à la période des questions au Salon rouge que son gouvernement serait peut-être obligé de recourir de manière préventive à la disposition de dérogation pour arriver à ses fins.
Or, cette clause de la Constitution canadienne n’est évoquée nulle part dans la pièce législative qu’a présentée Christian Dubé mardi. Pour cette première étape-là, on ne croit pas qu’on en a besoin
, a confirmé le ministre en point de presse mardi après-midi.
La formation d’un médecin coûte, en incluant la résidence, entre 435 000 $ et 790 000 $ aux contribuables québécois. Pour cette raison, M. Dubé estime que la population serait en droit de s’attendre à ce que les nouveaux diplômés pratiquent un certain temps dans le réseau public après leurs études.
Le ministre n’a toutefois pas précisé mardi si les étudiants actuels seront touchés par la mesure ou si celle-ci s’appliquera uniquement aux prochaines cohortes. La question pourra être débattue en commission parlementaire, a-t-il indiqué.
Le dépôt du projet de loi du ministre Dubé survient au surlendemain de l’entrée en fonction de l’agence Santé Québec, dont la direction a été confiée à deux entrepreneures issues du secteur privé, Geneviève Biron (présidente et cheffe de la direction) et Christiane Germain (présidente du conseil d’administration).
Il intervient aussi au moment où le gouvernement Legault est engagé dans des négociations avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) afin de renouveler les contrats de travail qui les lient.
La FMOQ a d’ailleurs réagi en fin d’après-midi, mardi, pour [remettre en question] l’ajout de contraintes supplémentaires
tout en [réitérant] sans détour
qu’elle était d’abord et avant tout en faveur d’un système de santé public, fort, accessible et universel
.
La FMSQ, de son côté, a fait savoir par courriel qu’elle prendrait le temps nécessaire
pour analyser le contenu du projet de loi qui semble lourd de conséquences pour les jeunes médecins
, dit-elle.
La Fédération des médecins résidents et résidentes du Québec (FMRQ), enfin, a transmis un communiqué de presse pour faire savoir qu’elle entendait analyser
la légalité
du projet de loi ainsi que de toute disposition discriminatoire qui viserait particulièrement les jeunes médecins
.
Source: Radio Canada