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Le Québec n’est plus la province qui paie le mieux ses éducatrices et le modèle québécois de Centre de la petite enfance (CPE) n’est plus la seule référence au Canada, selon des experts qui conseillent le gouvernement fédéral. L’Île-du-Prince-Édouard fait figure de nouveau modèle pour attirer et retenir les éducatrices.
À sa deuxième année au CPE Jardin des étoiles de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, Aya Taarji gagne près de 30 dollars de l’heure. C’est autant qu’une éducatrice du Québec en fin de carrière.
C’est vraiment un très bon salaire pour débuter la vie
, se réjouit la Marocaine âgée de 21 ans, qui a obtenu un diplôme en éducation de la petite enfance au Collège de l’Île.
Avant de commencer à travailler à l’Île, je voulais partir dans d’autres provinces. J’ai cherché un petit peu au Québec et en Ontario, mais le salaire n’était pas vraiment intéressant.
Au Québec, une éducatrice avec la même expérience gagne 20 $ de l’heure.
Aya Taarji estime que son salaire est plus « valorisant » : C’est quelque chose qui te donne un grand coup de pouce, ça t’encourage à bien travailler.
Au Québec, le gouvernement Legault tente de multiplier les créations de places en services de garde, pour respecter ses promesses électorales. Mais, ces places sont bien souvent comblées par des éducatrices non qualifiées, ce qui nuit à la qualité, rapportait la Vérificatrice générale dans un rapport, ce printemps.
L’Île-du-Prince-Édouard a pris une direction opposée à celle du Québec, durant la pandémie. Elle a choisi de miser sur la qualité et de créer des places au fur et à mesure de la disponibilité des éducatrices qualifiées.
Afin d’accélérer le recrutement, et donc la création de place, la province maritime a attiré les étudiantes et les travailleuses avec de meilleurs salaires et un régime de retraite à cotisations déterminées.
Résultat : le Québec a perdu sa place de provinces qui paie le mieux ses éducatrices. L’Île-du-Prince-Édouard et l’Alberta la dépassent dorénavant.
Au Québec, les éducatrices de CPE menacent de faire la grève dès le 15 novembre si les négociations continuent de piétiner pour le renouvellement de leur convention collective. De nombreuses travailleuses ont quitté le réseau pour aller travailler ailleurs et le recrutement est difficile.
Pendant ce temps, à l’Île-du-Prince-Édouard, la directrice du CPE Jardin des étoiles, Katera Arsenault se réjouit d’avoir mis derrière elle ces problèmes.
Avec le salaire très compétitif, ça vaut la peine d’être éducatrice et ça aide notre recrutement
, explique-t-elle.
Non seulement ça nous aide à retenir nos employés, mais ça nous aide à avoir des programmes de qualité.
À l’exception d’une éducatrice qui complète sa formation, la vingtaine de travailleuses du CPE sont toutes diplômées en éducation à la petite enfance. Dans les huit CPE francophones de l’Île-du-Prince-Édouard, 95 % des éducatrices sont ainsi qualifiées.
Au Québec, le taux est de 78 %, mais la moyenne cache le fait que certains établissements peinent à atteindre 50 %. D’ailleurs, jusqu’en 2027, le gouvernement Legault n’exige un ratio que d’une éducatrice qualifiée sur deux (Nouvelle fenêtre).
« L’investissement le plus important »
Le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard a augmenté le salaire des éducatrices de CPE de 50 %, entre 2021 et 2023.
On est vraiment fiers des avancements qu’on a faits
, indique Natalie Jameson, ancienne ministre de l’Éducation et de la Petite enfance de l’Île-du-Prince-Édouard qui était en poste jusqu’au 9 octobre dernier. La qualité est vraiment importante pour nous
, ajoute-t-elle.
Pour attirer et retenir les éducatrices, on doit les payer et nos données montrent que ça aide à retenir le personnel
, explique-t-elle, ajoutant qu’on voit des éducatrices revenir après avoir quitté le milieu
.
Ce qu’on fait pour aider les plus jeunes, ça va les aider toute leur vie. C’est l’investissement le plus important qu’un gouvernement peut faire.
D’autres provinces s’intéressent à ce qu’a fait l’Île-du-Prince-Édouard, en particulier, et les provinces maritimes en général. La Nouvelle-Écosse a augmenté le salaire des éducatrices de 43 % et le Nouveau-Brunswick suit aussi le principe de miser sur la qualification des éducatrices.
En novembre, une rencontre de tous les ministres de la Petite enfance du Canada se tiendra à Charlottetown avec comme sujet de discussion la main-d’œuvre. La ministre de la Famille du Québec, Suzanne Roy, devrait y être.
On a mis la barre haut et on est contents de partager ça avec les autres provinces
, dit Natalie Jameson.
Les experts vantent le nouveau « modèle des Maritimes »
Radio-Canada s’est entretenu avec plusieurs membres du Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants, qui a pour rôle de conseiller le gouvernement fédéral qui s’emploie à bâtir un système national de garderies à 10 $ par jour.
Ces experts, qui ne peuvent parler publiquement au nom du Comité, sont dithyrambiques envers le virage effectué par l’Île-du-Prince-Édouard. À l’inverse, ils sont de plus en plus déçus par l’évolution de la situation au Québec.
Depuis 1997, le Québec a toujours été le modèle à suivre, mais maintenant, c’est moins clair
, confie un membre de l’Ouest canadien.
On parle maintenant du modèle des Maritimes comme étant probablement supérieur au modèle québécois
, note un autre membre.
Contrairement au Québec, l’Île-du-Prince-Édouard n’a plus de problème de recrutement et n’a plus de roulement des éducatrices
. Et ça, c’est la meilleure expérience éducative pour les enfants
, souligne un des membres.
Des leçons à tirer pour le Québec »
L’Île-du-Prince-Édouard a fait « un bon coup » qui devrait inspirer toutes les autres provinces, selon Sophie Mathieu, spécialiste principale des programmes à l’Institut Vanier de la Famille, un organisme canadien.
Je pense qu’il y a des leçons intéressantes à tirer pour le Québec, dit-elle.
Au Québec, on est vraiment dans une course effrénée pour créer des places et ces places-là, elles ne sont pas toujours des places de qualité.
Une citation deSophie Mathieu, spécialiste principale des programmes à l’Institut Vanier de la Famille
La sociologue Sophie Mathieu est spécialiste des programmes à l’Institut Vanier de la famille.
Si on veut parler de valorisation de la profession, il faut que les éducatrices soient bien payées, ajoute la chercheuse.
Sophie Mathieu remarque que la province maritime a augmenté le nombre de places dans les programmes d’éducation de la petite enfance : d’une part, on paie davantage les éducatrices, mais on s’organise aussi pour les attirer dans ces programmes en offrant de la formation à un plus grand nombre de personnes.
À l’inverse, elle déplore que le Québec ait coupé dans les ratios d’éducatrices qualifiées durant la pandémie et que cela demeure : ce n’était peut-être pas une stratégie qui va s’avérer payante.
Hasardeux de comparer les provinces, dit Québec
Il est toujours délicat et difficile de comparer des juridictions différentes qui ont des réalités et des enjeux différents. Il faut faire preuve de prudence, écrit, dans un courriel envoyé à Radio-Canada, le cabinet de la présidente du Conseil du Trésor du Québec, Sonia LeBel, qui négocie actuellement avec les éducatrices.
Plus de la moitié des 30 000 éducatrices de CPE du Québec sont syndiquées et elles espèrent des hausses de salaire significatives. Pour le moment, le gouvernement Legault leur offre 12,7 % d’augmentation sur 5 ans. Les négociations doivent reprendre le 24 octobre.
Si on tient compte des propositions gouvernementales actuelles dans la négociation, le salaire horaire d’une éducatrice qualifiée en CPE, au maximum de l’échelle, dépasserait même celui de l’éducatrice avec le plus haut niveau de qualification, à l’Île-du-Prince-Édouard, écrit le cabinet dans son courriel.
La rémunération des personnes salariées des CPE doit être juste et équitable dans le contexte québécois, et ce, par respect envers les contribuables et les travailleurs d’ici.
Une citation deLe cabinet de la ministre Sonia LeBel, par courriel
Lors de la négociation précédente, le gouvernement avait accordé une hausse salariale de 18 %, sur trois ans, aux éducatrices qualifiées et spécialisées, en plus de diverses mesures pour améliorer leur charge de travail et valoriser leur profession, rappelle le cabinet.
Mercredi, les responsables de services de garde en milieu familial du Québec affiliés à la FSSS-CSN ont annoncé s’être dotés d’un mandat pour des moyens de pression allant jusqu’à cinq jours de grève. La rémunération est le principal point en litige.
À l’Île-du-Prince-Édouard, depuis 2021, le financement pour les garderies en milieu familial a triplé.
Source: Radio Canada