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En l’espace de deux semaines, un chef de parti est passé près d’en venir aux coups avec un autre, et le premier ministre a accusé un élu conservateur d’avoir proféré des commentaires homophobes, entre autres choses. Les couteaux volent plus bas que jamais à la Chambre des communes, mais cela n’entame pas la détermination des libéraux à rester en place jusqu’en octobre 2025.
« C’est le but. Oui, c’est encore le but », lance la leader du gouvernement à la Chambre des communes, Karina Gould, dans son bureau de l’édifice de l’Ouest. La veille, le Parti conservateur avait échoué à faire tomber le gouvernement Trudeau ; celui-ci a survécu grâce à l’appui du Bloc québécois et du Nouveau Parti démocratique (NPD).
Mais les troupes de Pierre Poilievre ne lâcheront pas le morceau. À preuve, une nouvelle motion de censure conservatrice était débattue au même moment où Karina Gould nous accordait une entrevue, jeudi. Et l’opposition officielle aura trois autres occasions de pousser le gouvernement au bord du gouffre cet automne.
Le Parlement fédéral n’est-il pas rendu dysfonctionnel ? « Les conservateurs font tout ce qu’ils peuvent pour que le Parlement ne fonctionne pas, mais ce que je vois des autres partis, c’est qu’ils veulent toujours faire avancer des [projets de loi] », argue la ministre à travers les gazouillis de sa petite Taya, 8 mois, qu’elle tient dans ses bras.
Un babillage qui contraste net avec les propos injurieux lancés par les députés à la Chambre des communes. Là-dessus, Karina Gould estime que des limites ont été franchies, citant l’épisode entre Pierre Poilievre et Jagmeet Singh1 survenu dès la première semaine de la rentrée. « Quitter son siège pour intimider quelqu’un, c’est inapproprié », soutient-elle.
Il faut dire que le dirigeant conservateur venait d’insulter copieusement son adversaire du NPD – un « vendu », un « imposteur » –, et que certains de ses élus et lui semblaient le mettre au défi de s’approcher.
Le ton des conservateurs est vraiment agressif. Ils se comportent comme des bullies [intimidateurs].
Karina Gould, leader du gouvernement à la Chambre des communes
C’est pourquoi l’option de proroger le Parlement est écartée : car le naturel conservateur reviendrait vite au galop, croit Mme Gould : « Ces gens du Parti conservateur ne changeront pas sous le leadership de M. Poilievre. Et ça ne changera pas non plus s’ils se retrouvent au gouvernement. »
Ouverture à collaborer avec le Bloc
Mais c’est également parce qu’elle croit qu’il est encore possible de conclure des accords à la pièce avec le Bloc québécois et le NPD. Et alors que certains de ses collègues ont mal digéré l’ultimatum lancé par le chef bloquiste Yves-François Blanchet, elle le voit comme une démonstration que sa formation « veut continuer de travailler pour les Canadiens ».
Le jour même de l’ultimatum, les libéraux ont d’ailleurs accepté de faire passer à l’étape de la troisième lecture le projet de loi bloquiste C-319 sur la majoration de la pension de vieillesse pour les aînés de 65 à 74 ans. Il y a cependant loin de la coupe aux lèvres, car le gouvernement doit demander la recommandation royale2… et le Sénat doit l’adopter.
Jouer l’horloge pourrait aussi permettre aux libéraux de se présenter devant l’électorat avec des réalisations, eux qui évoquent constamment le besoin de « continuer à livrer pour les Canadiens ». Or, de costauds projets de loi cheminent lentement. Et c’est sans compter que le programme de rachat des armes à feu bat de l’aile3.
Responsabilité partagée
La ministre Gould jette plus facilement la pierre aux conservateurs lorsqu’il est question du climat malsain qui règne à la Chambre des communes. « Il y a seulement un parti qui n’agit pas de manière respectueuse, qui ne respecte pas l’institution, qui ne respecte pas les Canadiens », accuse-t-elle.
Il s’est pourtant dit des choses pas très élogieuses dans les banquettes libérales dans les deux dernières semaines. « Ministre du Logement raté de Harper », « Dénoncer la merde des intimidateurs [les conservateurs] », a-t-on entendu de la bouche de Justin Trudeau.
Et le président de la Chambre, Greg Fergus, a noté jeudi que personne n’était irréprochable.
Se disant « très préoccupé » par la « séquence des évènements » ayant mené à la prise de bec entre Pierre Poilievre et Jagmeet Singh, l’arbitre des travaux a souligné que « la tendance […] à avoir recours à des critiques et insultes personnelles » a été « observée des deux côtés » de la Chambre.
En date du 30 septembre, il reste 46 jours de séance avant la fin de l’année 2024. Mais il en reste moins avant l’échéance fixée par Yves-François Blanchet, comme l’a rappelé la bloquiste Andréanne Larouche lors de la période des questions de jeudi dernier. « Les libéraux vont réaliser que le 29 octobre arrive vite », a-t-elle lâché.
Le 20 octobre 2025, date limite du prochain scrutin fédéral, c’est encore loin.
UNE MINISTRE EN DANGER
Les dégelées libérales dans deux châteaux forts de Toronto et de Montréal lors de scrutins partiels, au cours de l’été, n’augurent rien de bon pour les troupes de Justin Trudeau, y compris pour les membres de son cabinet. Dans sa circonscription de Burlington, en Ontario, Karina Gould se trouve dans une situation très précaire, selon le site web d’agrégation de sondages 338Canada. D’après les plus récentes projections du spécialiste Philippe J. Fournier, le Parti conservateur a 99 % des chances de ravir le siège de la députée Gould. « Il y a des choses qu’on peut encore livrer pour les Canadiens, a affirmé la ministre à ce sujet. J’adore mon travail, et je me sens tellement privilégiée de pouvoir le faire. C’est aux gens de Burlington de décider ce qu’ils veulent lors de la prochaine élection. »
LES PROJETS DE LOI PRIORITAIRES, SELON KARINA GOULD
C-63
Cette mesure législative sur les préjudices en ligne est à l’étape de la deuxième lecture en Chambre. Le Bloc québécois et le NPD souhaitent des modifications, et le Parti conservateur s’y oppose.
C-66
Déposé en mars dernier, ce projet de loi vise à retirer la gestion des cas de crimes sexuels aux tribunaux militaires. Il est lui aussi à l’étape de la deuxième lecture, ce qui signifie qu’il n’a toujours pas fait l’objet d’une étude détaillée en comité.
C-71
L’une des dispositions de ce projet de loi est de conférer automatiquement la citoyenneté canadienne aux personnes nées à l’étranger d’un parent canadien également né à l’étranger. Il n’a pas encore franchi, lui non plus, l’étape de la deuxième lecture.
C-65
Un comité de la Chambre des communes devrait commencer à étudier cette mesure législative, dont l’un des articles propose de repousser la date limite des prochaines élections au 27 octobre 2025, plutôt que le 20 octobre, jour de la fête de Diwali pour les hindous.
Source: la presse