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Des compressions budgétaires imposées au réseau collégial par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec ont entraîné, au cours des dernières semaines, l’annulation de plusieurs programmes de formation continue qui mènent à des attestations d’études collégiales (AEC).
Québec a ainsi mis de côté les AEC qui ne s’inscrivent pas dans les priorités nationales de son Opération main-d’œuvre, dont l’objectif consiste à répondre à des pénuries dans des secteurs spécifiques comme la santé et l’éducation.
Des formations en communication et études sourdes, en métiers d’art du patrimoine bâti, en gestion immobilière, en assurances, en médiation culturelle et en transformation des aliments comptent parmi les AEC annulées. Ces programmes étaient généralement offerts par un seul cégep.
Le gouvernement s’est engagé à investir 3,9 milliards de dollars en cinq ans pour soutenir les secteurs jugés prioritaires par l’entremise de l’Opération main-d’œuvre.
C’est le cas de l’AEC en communication et études sourdes, offerte depuis 25 ans au Cégep du Vieux Montréal. Le directeur de la formation continue de cet établissement, Éric April, souligne que ce programme joue un rôle crucial dans la formation d’interprètes en langue des signes, un métier en demande.
Ce sont des choix déchirants parce que derrière une AEC, il y a le milieu de l’emploi et les partenaires. Depuis la COVID-19, l’adéquation entre la formation et l’emploi s’est fragilisée parce qu’on a vu de grandes initiatives gouvernementales de requalification des travailleurs dans des domaines très spécifiques.
Ces annulations de programmes ont aussi privé de travail des employés du Cégep. Ce sont des chargés de cours qui ne travailleront pas
, ajoute Éric April.
Anne Bansept-Marcil, acceptée dans ce programme maintenant caduc, a été informée de l’annulation six jours avant la rentrée.
Je me suis inscrite à la fin du mois d’août, après les portes ouvertes, et, quatre jours plus tard, j’ai reçu un courriel me disant que la formation était annulée
, témoigne cette étudiante, qui croyait pourtant avoir ciblé un programme qui la mènerait vers une profession en demande.
Puisqu’il y avait une pénurie de main-d’œuvre, c’était rassurant de me dire que le programme m’ouvrait les portes dans le domaine, explique-t-elle. Je me disais qu’avec l’AEC, je pourrais ensuite faire la majeure à l’UQAM et devenir interprète en langue des signes.
D’autres étudiants ont misé sur l’attestation en communication et études sourdes pour réorienter leur carrière. C’est le cas d’Ève Christin-Cuerrier, qui a choisi ce programme après un an de recherches et de réflexion.
Je ne sais plus si je vais arriver à devenir interprète. Quelques-uns réussissent en passant par la voie du privée, mais ça ne se compare pas avec une formation du programme de l’AEC
, constate-t-elle.
Lucie Nault, diplômée de cette AEC, s’inquiète pour l’avenir de la formation. Devenue directrice générale du Réseau québécois pour l’inclusion sociale des personnes sourdes et malentendantes (REQIS), elle fait valoir l’importance de cette AECdans un secteur crucial.
En ce moment, il y a plusieurs services régionaux d’interprétation ou compagnies privées qui manquent d’interprètes. Et on ne devient pas interprète en langue des signes du jour au lendemain. En fermant l’AEC, on se prive de ressources pour plus tard
, souligne-t-elle.
Des programmes prioritaires
Cet été, le ministère de l’Éducation supérieure du Québec a recentré ses allocations vers des formations jugées prioritaires, augmentant ainsi le financement pour certains programmes au détriment d’autres.
La Fédération des cégeps se dit vivement préoccupée
face à ces orientations gouvernementales qui priorisent certaines attestations d’études collégiales au détriment d’autres tout aussi essentielles
, fait valoir par écrit sa présidente et directrice générale, Marie Montpetit.
Si les initiatives visant à soutenir certains programmes critiques sont louables, il ne faut pas négliger des secteurs tout aussi importants dans d’autres domaines stratégiques non ciblés par les priorités actuelles.
Par écrit, le ministère de l’Enseignement supérieur soutient que l’enveloppe pour le financement des AEC vise à répondre à la fois aux priorités nationales et aux besoins régionaux, ces derniers étant déterminés par les établissements, qui sont libres de l’utiliser pour offrir les programmes qu’ils jugent les plus pertinents pour répondre aux besoins de leur communauté
.
Cette affirmation est contestée par la présidente de la table des directions de la formation continue des cégeps montréalais, Céline Parent. Nous ne sommes pas complètement libres. L’enveloppe régionale a été diminuée de plus de 30 % à Montréal, ce qui nous empêche d’offrir plusieurs formations, explique-t-elle. Ces formations seraient pertinentes pour répondre aux besoins de notre communauté.
Cette segmentation des financements pourrait aussi conduire à une saturation du marché du travail dans certains secteurs, selon Céline Parent, puisque les établissements offriront les mêmes formations jugées prioritaires par le gouvernement du Québec.
La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), qui représente 85 % des enseignants du collégial, estime que cette façon de faire discrimine et cible des secteurs en particulier
, ce qui est contraire à la mission du réseau collégial public, en plus de s’avérer inacceptable et frustrant pour le personnel enseignant qui se préparait à travailler dans les programmes concernés
.
Ces annulations de programmes surviennent après que des restrictions budgétaires imposées cet été par Québec eurent forcé les établissements collégiaux à revoir leurs investissements en infrastructures.
Source: Radio Canada