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Le choc de la démission de Pierre Fitzgibbon est à peine encaissé que François Legault essuie un nouveau coup dur : le député Youri Chassin claque la porte du caucus caquiste pour siéger comme indépendant. De surcroît, ses griefs trouvent un écho chez certains députés, reconnaît le premier ministre, qui leur demande d’être « patients ».
Inquiet de la « crise des services publics » et en rupture avec les orientations du gouvernement, le député de Saint-Jérôme a annoncé jeudi qu’il quittait les rangs caquistes. Il a confirmé sa décision en pleine semaine de rentrée parlementaire, sans avertissement, sans en avoir informé au préalable François Legault. Les deux hommes se sont rencontrés mercredi soir, un entretien qui a convaincu le député de claquer la porte.
En entrevue avec La Presse, Youri Chassin a affirmé qu’il n’était pas le seul dans son camp et que d’anciens collègues lui avaient écrit jeudi pour le remercier de sa sortie fracassante. « Certains, c’est [des messages] plus humains […], et il y a en d’autres qui sont très contents de la sortie que j’ai faite », a relaté le député en fin de journée.
« C’est quelques-uns, mais en même temps, ce n’est pas innocent. Je pense […] qu’au bureau du premier ministre, ils entendent ma voix et doivent savoir que je parle pour moi d’abord, mais qu’il y a bien des gens qui se reconnaissent là-dedans », a-t-il ajouté.
C’est un quatrième départ en un peu plus d’un an au sein du parti ministériel. « Un nombre très raisonnable », a soutenu le premier ministre, tentant de minimiser ces démissions successives.
L’ex-économiste de l’Institut économique de Montréal, un groupe de réflexion de droite, a énoncé ses critiques une première fois à ses collègues lors de la réunion du caucus caquiste à Rimouski, la semaine dernière. Dimanche, il a envoyé un courriel « un petit peu désespéré » au chef de cabinet du premier ministre, Martin Koskinen. Il a ensuite été convoqué par M. Legault, mercredi en début de soirée.
Mais M. Legault ne l’a pas convaincu que le gouvernement allait changer ses orientations. Le député a perdu espoir d’inverser le cours des choses. Il a pris la décision de quitter le caucus de la CAQ le soir même et d’écrire une lettre « qui était en partie déjà pensée ». Cette lettre ouverte, publiée jeudi dans le Journal de Montréal, critique sévèrement le gouvernement Legault.
J’ai tout essayé à l’interne : dans le parti, auprès des cabinets, auprès des ministres, et [mercredi] soir auprès du premier ministre. J’ai tout essayé pour ramener l’agenda caquiste.
Le député Youri Chassin, en conférence de presse
« Je n’ai pas réussi, et ma conclusion, c’est qu’on arrive à la mi-mandat, on entend le tic tac, là. Si je ne peux pas regarder les électeurs dans les yeux et leur dire que le gouvernement fait actuellement les bons choix pour le Québec, il est temps que je parte », a-t-il ajouté, précisant qu’il terminerait son mandat et ne se joindrait pas à un autre parti.
Plusieurs griefs
M. Chassin dénonce entre autres une orgie de dépenses qui ne donnent pas de résultats pour la population, une augmentation de la taille de l’État et un déficit budgétaire record. C’est contraire aux valeurs caquistes, a-t-il soutenu. Le gouvernement n’a plus l’« audace » du premier mandat, et le Québec est en train de devenir « une république du statu quo », selon lui.
M. Chassin affirme que le deuxième mandat du gouvernement est « décevant » et qu’il a « tenu la ligne » du parti en votant pour le budget déficitaire de 11 milliards « parce qu’on allait s’atteler à faire un examen des dépenses et qu’on allait faire des choix ». Or, cela ne s’est pas concrétisé, a-t-il fait valoir.
En entrevue, M. Chassin se fait plus cinglant : il accuse le gouvernement de n’avoir pas donné comme promis plus d’autonomie aux écoles et d’avoir pris la décision, sous la pression de Québec solidaire, d’imposer un moratoire de trois ans sur les évictions, « ce qui n’a crissement pas d’allure », pense-t-il.
« Je sentais depuis un certain temps qu’il y avait certaines choses qui l’achalaient. C’est pour ça [que mercredi], je l’ai rencontré pendant une demi-heure », a réagi le premier ministre lors d’une conférence de presse organisée après une période de questions pendant laquelle ses adversaires n’ont pas raté de reprendre les constats du député Chassin pour attaquer le gouvernement.
Ce que j’ai essayé de dire à Youri, c’est qu’on va essayer d’avoir une approche équilibrée, pragmatique, responsable, mais bon, il a fait le choix de siéger comme indépendant. Évidemment, moi, je suis déçu de sa décision.
François Legault, premier ministre du Québec
Lors de cette rencontre mercredi soir, le député de Saint-Jérôme a tenté de convaincre le premier ministre de forcer les syndicats à dévoiler leurs états financiers, ce qui provoquerait « une guerre atomique », selon M. Legault. M. Chassin lui a aussi fait valoir que la réforme en santé du ministre Christian Dubé mettait trop de temps à donner des résultats et que la marche vers le retour à l’équilibre budgétaire était trop longue.
Des griefs qui trouvent des appuis au sein du caucus, a admis François Legault. « Sur les réformes en santé et sur l’équilibre budgétaire, il y en a qui voudraient peut-être qu’on aille plus vite », a dit le premier ministre.
D’autres députés impatients
Lors de son point de presse, Youri Chassin a d’ailleurs affirmé que certains de ses collègues l’ont applaudi lorsqu’il a fait connaître son opinion à Rimouski. Il a également mentionné que parmi les députés, « il y en a d’autres qui ont des insatisfactions ».
L’ex-ministre et député caquiste Pierre Dufour a d’ailleurs affirmé aux correspondants parlementaires que « Youri exprime un élément intéressant », entre autres au sujet de « la grosseur de l’appareil de l’État » que la CAQ avait promis de réduire. Il estime que le départ de M. Chassin va permettre « d’avoir des débats plus vifs au sein même du caucus ». Car il faudrait « un recentrage sur certains enjeux », selon lui. « Quand on passe des projets de loi, on additionne aussi des mesures, des actions à faire, ce qui fait aussi que des fois, on grossit les équipes un petit peu. Il faut juste trouver un équilibre », a-t-il soutenu.
François Legault a admis de « petits différends » avec certains députés et appelle à la patience. « Certains voudraient qu’on aille plus vite » pour revenir à l’équilibre budgétaire, « mais en même temps, quand je leur demande : “Très bien, quelle dépense voudriez-vous couper ?”, ils n’ont pas de réponse », a-t-il dit, défendant son « approche responsable ».
François Legault affirme malgré tout conserver l’appui de son caucus. « On me dit que je n’ai pas à m’inquiéter », a-t-il dit. Rappelons que le jour de la démission de Pierre Fitzgibbon, la semaine dernière, il répondait aux journalistes qu’il n’y aurait pas d’autres départs parmi ses troupes.
Source: la presse