La « renaissance » du nucléaire ontarien

14 mai 2024
La « renaissance » du nucléaire ontarien

Assahafa.com

C’est l’énergie du passé pour certains, de l’avenir pour d’autres. En Ontario, le gouvernement de Doug Ford s’est lancé dans la plus grande expansion nucléaire de l’histoire canadienne, ramenant ainsi un vieux débat, radioactif depuis des décennies.

Pickering, tout juste à l’est de Toronto, aurait pu être une station balnéaire. La centrale nucléaire, une immense structure de béton au bord du lac Ontario, est entourée de verdure et de chemins de randonnée.

Mais plus on s’approche de l’installation, plus l’atmosphère de sérénité s’estompe. La plus vieille centrale nucléaire du Canada est une véritable forteresse, entourée de barbelés et gardée par des policiers armés.

L’accès y est restreint : l’endroit est fermé au grand public, rarement ouvert aux journalistes. Pour y entrer, il faut passer un contrôle de sécurité digne d’un aéroport.

Les effets personnels – y compris les téléphones – doivent rester à l’extérieur, tout comme l’eau et la nourriture. On demande aux visiteurs d’éviter de porter du polyester, une matière susceptible de retenir des particules radioactives.

Le niveau de radioactivité de chaque personne est mesuré à l’entrée et à la sortie de la centrale. L’objectif étant, toujours, de s’assurer que rien n’en sorte. Une parfaite étanchéité.

Ed Devlin est habitué à ce strict protocole de sécurité. Après 30 ans, j’entends ces bruits dans mon sommeil, lance celui qui travaille à Pickering depuis 1989.

Il a commencé son emploi une vingtaine d’années après la mise en service des premiers réacteurs. Aujourd’hui directeur adjoint des opérations nucléaires, M. Devlin connaît la centrale comme le fond de sa poche.

Les centrales nucléaires n’ont jamais l’air modernes, dit-il, en pointant les vieux boutons, leviers et tuyaux qui l’entourent. Cet équipement du siècle dernier produit pourtant 14 % de l’électricité en Ontario.

Les deux autres centrales de la province – Bruce et Darlington – comblent respectivement 25 % et 30 % des besoins énergétiques.

À titre comparatif, la centrale de Gentilly-2, à Bécancour, fournissait moins de 2 % de l’électricité du Québec en 2012, sa dernière année d’activité.

La centrale de Pickering devait couper les moteurs en 2024. Ontario Power Generation avait déjà préparé son plan de mise à l’arrêt. Des centaines d’employés comme Ed allaient prendre leur retraite ou être affectés à une nouvelle centrale.

Mais en janvier, le ministre ontarien de l’Énergie, Todd Smith, a annoncé son intention de prolonger de 30 ans la durée de vie de Pickering.

Quatre des six réacteurs de la centrale seront remis à neuf – un projet qui se chiffrera dans les milliards de dollars, mais dont le budget final reste encore à déterminer.

L’Ontario connaît une croissance fulgurante, assure le ministre Smith en entrevue. Des entreprises commencent à revenir en Ontario, après l’avoir quittée parce que le prix de l’électricité était trop imprévisible et trop élevé.

Le gouvernement progressiste-conservateur invoque trois raisons pour justifier l’expansion nucléaire : la croissance démographique, l’électrification des transports et les besoins de l’industrie.

Pour la première fois en 20 ans, la demande en électricité augmente en Ontario, souligne Todd Smith, qui est responsable de ce portefeuille depuis trois ans et qui est rapidement devenu un champion du nucléaire.

Le gouvernement de Justin Trudeau semble aussi plus chaud à l’idée de favoriser le nucléaire, une source d’énergie qui génère des déchets radioactifs, mais très peu d’émissions polluantes.

En février, Ottawa investissait 50 millions de dollars dans le projet d’expansion de la centrale Bruce, sur la côte est du lac Huron – le premier investissement de la sorte en plus de 30 ans.

Je pense que le gouvernement fédéral réalise qu’il ne sera pas capable d’atteindre son objectif de carboneutralité [en 2050] sans le nucléaire.

Une citation deTodd Smith, ministre ontarien de l’Énergie

En plus de rénover ses centrales nucléaires, l’Ontario veut devenir la première province en Amérique du Nord à opérer de petits réacteurs modulaires (PMR).

Ces mini-réacteurs sont relativement rapides à construire et prennent moins d’espace qu’une centrale traditionnelle. Chaque PRM peut produire 300 mégawatts, assez pour alimenter 300 000 foyers.

L’Ontario espère une première mise en marché en 2029, à condition d’obtenir le feu vert de la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

Le nucléaire connaît une renaissance en Ontario, dit en souriant Subo Sinnathamby, chef de projets pour l’Ontario Power Generation.

Cette société d’État est le plus grand producteur d’électricité de la province. Elle s’attend à ce que la demande en énergie double d’ici 2050 – une réalité qui nécessitera la construction de petits réacteurs, mais aussi de nouvelles centrales.

Selon la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, la demande va passer de 47 000 à 88 000 mégawatts d’ici 2050, dont plus de 18 000 mégawatts qui devront provenir du nucléaire.

Il nous faudra probablement cinq centrales de la taille de Darlington pour combler cet écart, précise Mme Sinnathamby.

Mili Roy se désole de cette expansion du nucléaire, une énergie du passécontraire à l’intérêt public, selon elle.

Ophtalmologue, professeure à l’Université de Toronto et militante au sein de l’Ontario Clean Air Alliance, elle décrit le nucléaire comme une source d’énergie coûteuse, dangereuse et néfaste pour l’environnement – notamment en raison de la création des déchets nucléaires, qui demeurent radioactifs pour des millions d’années.

S’il y a un accident, les conséquences sont si graves que ça ne vaut la peine de prendre ce risque, surtout quand on a d’autres options qui sont nettement supérieures, estime-t-elle, en faisant référence aux énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien, qui représentent pour l’instant moins de 10 % de l’apport énergétique en Ontario.

Greenpeace partage cet avis. En janvier (Nouvelle fenêtre), l’organisme environnementaliste avait dénoncé l’expansion nucléaire de l’Ontario et accusé le gouvernement Ford de prendre une décision basée sur l’idéologie, pas sur l’économie.

Toute analyse coût-avantages indépendante et crédible démontrerait que nous devrions investir dans le système énergétique alimenté par les énergies renouvelables de l’avenir, plutôt que de verser des milliards de plus dans la reconstruction de réacteurs nucléaires bien au-delà de leur date de péremption, avait alors déclaré Keith Stewart, le stratège principal en énergie de Greenpeace Canada.

Le nucléaire bloque le progrès qu’on peut faire pour développer les énergies renouvelables […] qui sont devenues les moins chères du monde.

Une citation deMili Roy, militante anti-nucléaire

Le ministre Todd Smith rétorque que le nucléaire est une option abordable si on considère la durée de vie des centrales.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, un champ de panneaux solaires ou d’éoliennes devrait occuper beaucoup plus de terrain qu’une centrale nucléaire pour produire la même quantité d’électricité, souligne-t-il.

En dépit de nombreuses inquiétudes environnementales, l’Ontario a choisi de miser sur le nucléaire.

La province croit d’ailleurs que d’autres gouvernements pourraient lui emboîter le pas : l’Alberta, la Saskatchewan et peut-être même le Québec.

L’Ontario et le Québec partagent de l’électricité, donc les Québécois reçoivent déjà l’énergie nucléaire de l’Ontario, signale Todd Smith, selon qui l’opinion publique se range de plus en plus du côté nucléaire, face à la demande en électricité qui ne cesse de grimper.

Source: Radio Canada

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