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Elle a supervisé la naissance de la tarification sur le carbone – une des mesures phares du gouvernement Trudeau –, mais aujourd’hui, l’ancienne ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, reproche aux libéraux la mollesse avec laquelle ils ont défendu le prix sur la pollution au cours des dernières années.
Selon Mme McKenna, les libéraux ont laissé le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, prendre le contrôle du message en plaçant entre autres le slogan Abolir la taxe
au cœur de sa plateforme. Je ne sais pas pourquoi ils lui ont cédé la parole […]. Il ne parle jamais de la manière dont l’argent […] est retourné aux gens
, affirme-t-elle.
L’ex-ministre libérale, qui travaille maintenant comme présidente-directrice générale de la firme Climate and Nature Solutions, fait référence à la redevance tirée des recettes du prix sur le carbone, qui est versée aux Canadiens tous les trois mois. Le directeur parlementaire du budget estime qu’environ 8 ménages sur 10 reçoivent plus d’argent qu’ils n’en dépensent, avec la tarification.
Peut-être qu’au gouvernement, ils étaient fatigués, qu’ils étaient inquiets à propos de Pierre Poilievre et qu’ils se sont dit : « Si on parle d’autre chose, ça va créer une diversion »
, ajoute Mme McKenna. Ce n’est pas la bonne approche, dit-elle :
Le chef conservateur s’attaque à une mesure phare. Il faut la défendre. […] Le gouvernement n’a pas bien vendu la tarification sur le carbone.
Reproches à la ministre des Finances
Catherine McKenna montre aussi du doigt Chrystia Freeland, à qui elle reproche de ne pas avoir suffisamment parlé des économies entourant le prix sur le carbone ni du fait que la majorité des gens en reçoivent davantage dans leurs poches : Steven Guilbeault ne peut pas être le seul à défendre cette politique. Chaque ministre doit le faire. Et ça inclut la ministre des Finances.
Je crois que le problème en ce moment au ministère des Finances, c’est qu’il semble y avoir cette perspective selon laquelle une politique sur les changements climatiques n’est pas une politique économique positive. Je ne comprends pas cela, et cela m’inquiète.
Une source haut placée au gouvernement abonde dans ce sens : À l’interne, il y a cette perception selon laquelle il y a un manque d’enthousiasme de la ministre des Finances à l’égard des mesures climatiques plus coercitives, comme le prix sur le carbone.
Cette même personne, qui a requis l’anonymat afin de parler plus librement, ajoute que Mme Freeland se voit souvent comme la défenderesse du secteur pétrolier et gazier
autour de la table du Conseil des ministres.
Deux sources libérales nous ont indiqué que Chrystia Freeland était favorable à l’exemption temporaire de tarification carbone accordée, l’automne dernier, pour le chauffage au mazout – une mesure soutenue par les députés de l’Atlantique, mais décriée par Catherine McKenna : C’est comme si [le gouvernement] disait : il y a un problème avec le prix sur la pollution.
Dans les rangs libéraux, toutefois, tous n’ont pas la même vision de la vice-première ministre : Chrystia a porté le programme du parti comme candidate
, confie une autre source. S’il y en a une qui défend les politiques de transition verte, c’est bien elle.
Mme Freeland n’était pas disponible pour une entrevue, mais par écrit, son bureau souligne qu’elle soutient évidemment le prix sur la pollution et qu’elle a fait campagne sur ce thème en vue des deux dernières élections
.
L’équipe de la ministre des Finances nous a d’ailleurs envoyé par courriel une liste de 15 interventions publiques que Chrystia Freeland a faites au cours de la dernière année, où elle a défendu entre autres les politiques environnementales de son gouvernement ainsi que la tarification sur le carbone.
En juin 2023, par exemple, elle déclarait que les conservateurs se battaient contre un prix sur la pollution, qui est la meilleure façon de lutter contre les changements climatiques
.
Une des interventions citées traitait de l’abordabilité. En décembre dernier, Mme Freeland affirmait à la Chambre des communes que 8 Canadiens sur 10 ont plus d’argent dans leurs poches grâce à la tarification sur le carbone
.
Trudeau ajuste le tir
Une chose est sûre : Justin Trudeau paraît, lui, plus combatif depuis quelques jours et semble ajuster son argumentaire de vente pour mettre davantage l’accent sur le versement que reçoivent les Canadiens chaque trimestre.
En entrevue à l’émission Midi Info, vendredi, le premier ministre a reconnu que son gouvernement avait peut-être mal
expliqué le prix sur le carbone. C’est pour ça que l’on continue à en parler maintenant et je veux bien qu’on en parle plus. Et je suis content de voir qu’il y a bien des gens qui commencent à reconnaître qu’effectivement, les mathématiques sont assez claires
, a-t-il déclaré.
Des changements concrets ont aussi été apportés par son équipe de communication. Par exemple, le nom du remboursement, qui s’appelait autrefois Paiement de l’incitatif à agir pour le climat
, a été changé pour Remise canadienne sur le carbone
.
Dès le mois prochain, il sera ainsi clairement désigné dans les comptes bancaires des Canadiens, explique une source haut placée au bureau de Justin Trudeau, qui estime que l’appellation précédente était floue et que bien des gens recevaient de l’argent sans savoir de quoi il s’agissait.
Les gens disent qu’on fait du « rebranding » en ce moment sur le prix sur le carbone. On ne peut pas parler de « rebranding« : on ne l’a jamais « brandé« .
Toujours selon cette source, le gouvernement Trudeau songe à une éventuelle campagne de publicité pour mieux expliquer son plan climatique dans les prochains mois.
Poilievre persiste
Catherine McKenna salue ces changements, qu’elle qualifie de positifs
, de la part du premier ministre, même si elle estime qu’ils arrivent un peu tard
.
Toutefois, sur le terrain politique, l’isolement de Justin Trudeau est de plus en plus visible.
La semaine dernière, sept premiers ministres provinciaux, y compris le libéral Andrew Furey, à Terre-Neuve-et-Labrador, ont demandé à Ottawa d’abandonner la hausse annuelle prévue de la tarification carbone, qui doit passer de 65 $ à 80 $ la tonne le 1er avril… ce que M. Trudeau a refusé.
De son côté, Pierre Poilievre n’entend pas atténuer ses attaques contre la tarification sur le carbone et souhaite continuer à l’utiliser comme levier politique. Il doit notamment déposer une motion cette semaine pour demander un gel de la hausse.
Le chef conservateur souhaite ainsi forcer chaque député libéral à se prononcer publiquement sur cette augmentation. Les gens ne peuvent plus payer. C’est le temps pour les députés libéraux de représenter leurs commettants
, a-t-il déclaré au Nouveau-Brunswick vendredi. Derrière lui trônait la pancarte Abolir la taxe
.
Source: Radio Canada