Le Québec mûr pour un directeur parlementaire du budget, selon un ancien DPB fédéral

29 février 2024
Le Québec mûr pour un directeur parlementaire du budget, selon un ancien DPB fédéral

Assahafa.com

Comme le jour de la marmotte, la question revient chaque année et est devenue une tradition prébudgétaire à Québec. Le Québec doit-il se doter d’un directeur parlementaire du budget pour garder un œil sur ses projections de dépenses?

Oui, répondent Jean-Denis Fréchette et Carlos Leitao, respectivement ancien directeur parlementaire du budget (DPB) fédéral et ex-ministre des Finances du Québec.

Seize ans après la nomination du tout premier DPB à Ottawa, Jean-Denis Fréchette est plus que jamais convaincu que le poste est devenu essentiel et qu’un tel rôle s’impose aussi à Québec.

Je compare souvent les bureaux du directeur parlementaire du budget à des radars photo. Un radar photo, c’est pour permettre de réduire, contrôler la circulation et la vitesse. […] Un bureau, c’est un peu comme ça, c’est-à-dire qu’on sait qu’il est là; les gouvernements font plus attention, parce qu’ils savent qu’ils peuvent justement être captés sur le radar, illustre celui qui a occupé le poste de 2013 à 2018.

Comme officier indépendant du Parlement dont le rôle est de répondre aux demandes d’analyse des élus, un DPB québécois étudierait les finances publiques, les plans de dépenses et les projections de coûts du gouvernement.

Un outil de transparence supplémentaire qui permettrait d’améliorer la qualité des débats à l’Assemblée nationale, d’autant plus que les dossiers d’envergure, avec des dépenses de plusieurs milliards de dollars, ne manquent pas, croit Jean-Denis Fréchette.

Même chose pour les coûts des grands projets de transport, qui seraient d’un grand intérêt pour un DPB québécois. M. Fréchette souligne qu’il avait d’ailleurs étudié la possibilité de financer la construction du nouveau pont Samuel-De Champlain avec des péages au moment où il était en poste à Ottawa.

Ça a suscité beaucoup d’intérêt […], ça avait été un très beau débat parlementaire, alors ça serait la même chose pour le troisième lien, le tramway, peu importe, croit-il.

Si Carlos Leitao ne voyait pas l’utilité de créer un DPB du temps où il était ministre des Finances, de 2014 à 2018, sa position a changé lors de son passage dans l’opposition, durant le mandat suivant. Avec le recul, il reconnaît que les partis d’opposition manquent de ressources pour comprendre en détail la trajectoire budgétaire du Québec.

Les députés [d’opposition] ne sont pas très nombreux et, donc, les ressources financières qui sont disponibles pour engager des recherchistes et du personnel sont limitées. J’ai l’impression que les trois partis d’opposition n’ont pas toutes les ressources qu’ils souhaiteraient avoir pour pouvoir bien se garder au courant, admet-il en entrevue.

Carlos Leitao ne croit pas que son mandat comme ministre aurait été influencé par l’existence d’un DPB, mais il estime tout de même qu’un tel officier aurait permis d’améliorer le débat sur l’état des finances publiques québécoises lors de son passage aux Finances.

Ça aurait aidé l’évolution du débat […], on en a beaucoup discuté et on en discute encore un peu de cette question d’austérité ou pas austérité. S’il y avait à ce moment-là un organisme indépendant comme le DPB, il aurait pu très facilement mettre les balises et dire : « L’austérité, c’est comme ceci et le gouvernement a fait comme cela ». Je pense même que ça aurait facilité notre vie, avoue-t-il, sourire en coin.

Un meilleur calcul des promesses

Si, au Québec, le bureau du vérificateur général (VG) se voit chargé depuis 2018 d’étudier la rigueur de l’analyse de l’état des finances publiques à la veille des élections, un DPB serait en mesure d’aller plus loin.

Carlos Leitao était ministre des Finances lorsque ces nouveaux pouvoirs d’analyse préélectorale ont été donnés au VG. Il n’y aurait qu’un pas à franchir, désormais, selon lui, pour créer un DPB.

On a déjà, au Québec, les contours d’un directeur parlementaire du budget. Ça ne serait pas tellement un si grand changement d’y aller avec l’étape suivante et de constituer vraiment un DPB qui serait vraiment un officier de l’Assemblée nationale, et pas seulement un bureau du VG, pense-t-il.

À l’instar de son homologue fédéral, un directeur québécois pourrait aussi évaluer le cadre financier des partis lors d’élections, croit Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

À chaque campagne électorale, le DPB est prêt, attend les propositions des partis et les évalue et nous dit si, oui ou non, les chiffres sont bons ou pas bons. On n’est pas tellement loin d’un rapport préélectoral, on est dans la même sphère d’activité, souligne la spécialiste des questions budgétaires.

Geneviève Tellier mentionne également que créer un DPB permettrait au vérificateur général de se concentrer sur ses fonctions principales.

Il faut comprendre que la logique d’une vérification comptable, d’un audit et d’une projection économique, on n’utilise pas les mêmes outils, on n’utilise pas la même expertise. Bon, la vérificatrice générale a réussi à s’entourer d’une bonne équipe qui a justement cette expertise-là. Mais c’est beaucoup lui demander de faire le rapport préélectoral et pendant qu’il fait ça, elle ne peut pas utiliser ces ressources pour faire autre chose, ajoute Mme Tellier.

L’exemple ontarien

Après le fédéral en 2008, l’Ontario est la seule province canadienne à avoir accordé de tels pouvoirs d’analyse à un officier parlementaire indépendant. Avec son Bureau de la responsabilité financière, l’Assemblée législative ontarienne s’est dotée depuis 2013 d’un outil particulièrement utile lorsqu’arrive le dépôt du budget, croit Geneviève Tellier.

Maintenant, on peut se concentrer sur la substance du budget et non pas juste l’exactitude des données. […] Par exemple, on sait que les budgets ontariens qui ont été dédiés à la santé n’ont pas tous été utilisés. On le sait grâce au directeur de la responsabilité financière, illustre la professeure.

Dix ans après sa création, le pendant ontarien du DPB a lui aussi prouvé son utilité, selon Geneviève Tellier.

C’est peut-être moins flamboyant [qu’au fédéral], parce que dans les provinces, les questions budgétaires sont peut-être moins grosses, prennent peut-être moins de place dans les médias que ce qu’on voit au fédéral, mais l’utilité a été la même.

Pas pour tout de suite, dit le gouvernement

Même si la Coalition avenir Québec (CAQ) avait fait la promesse de créer un DPB québécois en 2018, dans le cadre de sa réforme parlementaire, et que le parti avait déposé un projet de loi en 2016 pour en créer un alors qu’il était dans l’opposition, le gouvernement de François Legault n’est pas pressé de créer un tel chien de garde des finances publiques.

Selon nos informations, le gouvernement n’est pas opposé à la création d’un DPB québécois, mais ne croit pas qu’il doive en faire une priorité parlementaire.

On est toujours d’accord avec plus de transparence, mais est-ce qu’on en a absolument besoin maintenant? Quelle serait la valeur ajoutée d’un DPB? Ça ne nous paraît pas comme une urgence, souligne une source qui a requis l’anonymat pour s’exprimer librement.

Par courriel, le cabinet du ministre des Finances, Eric Girard, soutient : nous avons toujours démontré de l’ouverture au sujet de la création d’un DPB. Cette décision appartient à l’Assemblée nationale et nous l’appuierons si la volonté des parlementaires est celle-ci.

Une position qui surprend peu Geneviève Tellier.

Les gouvernements sont très réticents à créer une organisation chargée de les surveiller encore plus. Ce n’est pas dans la nature des choses, et donc ils vont le faire à reculons, dit-elle en rappelant que le fédéral et l’Ontario avaient créé de tels postes dans la foulée de scandales et d’élections de gouvernements minoritaires.

À l’Assemblée nationale, le Parti libéral, Québec solidaire et le Parti québécois ont tous réclamé la création d’un DPB québécois dans la dernière année.

Un « DPB vert »?

Aujourd’hui à la retraite, Jean-Denis Fréchette y va d’une autre suggestion, alors que le gouvernement tergiverse encore à propos de la création d’un DPB. Pourquoi ne pas donner à cet officier parlementaire un mandat également environnemental?

Le bureau de la responsabilité financière de l’Ontario l’a fait récemment. Au cours des dernières années, on a commencé à introduire dans certains calculs l’impact que les changements climatiques pourraient avoir sur les infrastructures, notamment, soutient l’économiste.

À l’ère du réchauffement, des catastrophes naturelles plus fréquentes et de l’érosion accélérée des berges, ces éléments doivent être pris en compte dans le coût des infrastructures, plaide Jean-Denis Fréchette.

Que ce soit en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine […], sur la Côte-Nord, ou à Baie-Saint-Paul l’année passée avec les inondations, pour moi, le Québec pourrait devenir un précurseur dans ce domaine-là.

Source: Radio Canada

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