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Le Canada a « condamné fermement la tentative de coup d’État » au Niger, mais ne s’est pas joint à d’autres pays pour sanctionner ou couper son soutien à ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Mercredi dernier, une faction de l’armée nigérienne a proclamé qu’elle avait renversé le président démocratiquement élu en 2021, Mohamed Bazoum, après l’avoir détenu au palais.
Dans un message sur Twitter vendredi soir, Affaires mondiales Canada écrivait qu’Ottawa « réaffirme son soutien au président Bazoum et réitère son appel à sa libération ».
« Le respect de la démocratie est essentiel afin de préserver les efforts de coopération et la stabilité au Niger », indiquait alors Ottawa, en exprimant son soutien aux initiatives de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le Royaume-Uni et l’Union européenne ont coupé leur aide à ce pays et Washington y songe sérieusement. Le gouvernement canadien n’a donné aucune indication qu’il envisageait de réduire les budgets consacrés au développement et à l’aide humanitaire au Niger, qui s’élèvent à environ 60 millions par année.
« Le Niger est un pays important pour le Canada et pour le reste du monde », a déclaré Rita Abrahamsen, professeure à l’Université d’Ottawa spécialisée dans la politique et la sécurité africaines.
Le tumulte au Niger est le dernier d’une série de tentatives de coup d’État dans la région du Sahel, où le « groupe État islamique » recrute des militants et commet des massacres. Cette instabilité politique survient alors que le groupe Wagner de mercenaires russes s’immisce dans des pays de la région.
Trudeau a rencontré Bazoum en novembre
Le premier ministre Justin Trudeau a rencontré le président Bazoum pour la dernière fois en novembre lors du sommet de la Francophonie en Tunisie. Il avait alors salué son « leadership dans les valeurs progressistes » telles que l’inclusion des femmes et la démocratie, dans une région où progresse l’autoritarisme.
Le président Bazoum a souligné alors que le Canada avait été moins présent dans son pays depuis les années 1970, quand Ottawa était à l’avant-garde des programmes de coopération.
« Nous avons eu une petite distanciation et nous allons travailler à faire en sorte que nos liens se resserrent encore davantage », déclarait M. Bazoum en français le 20 novembre 2022.
Mme Abrahamsen a déclaré que le Niger est important, car il a l’une des populations les plus jeunes au monde et a été un partenaire démocratique pour les pays occidentaux. Le Niger possède des réserves d’uranium pour lesquelles il existe une demande mondiale croissante, ainsi qu’une présence importante de mines gérées par des sociétés canadiennes.
Quatre pays sont actuellement dirigés par des gouvernements militaires en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, où il y a eu neuf coups d’État réussis ou tentatives depuis 2020.
« Le Niger est en quelque sorte le dernier bastion de la démocratie, le dernier espoir dans la ceinture sahélienne », estime Mme Abrahamsen, qui note qu’à travers l’Afrique, les pays occidentaux ont acheminé de l’aide militaire dans l’espoir d’empêcher les groupes terroristes de semer le chaos à la fois sur le continent et à l’étranger. Mais un manque de soutien proportionné au renforcement de la société civile aurait pu contribuer aux crises actuelles.
« Toute l’aide extérieure et tous les efforts nationaux pour combattre les djihadistes n’ont pas été très fructueux, rappelle Mme Abrahamsen. Donc les gens sont mécontents, et les militaires de divers pays cherchent quelqu’un à blâmer. Alors ils blâment les responsables. »
La CEDEAO a annoncé dimanche que tous ses membres suspendraient les transactions commerciales et financières avec le Niger et gèleraient les avoirs des banques centrales régionales.
Les sanctions économiques pourraient avoir un effet profond sur les Nigériens, qui vivent dans le troisième pays le plus pauvre du monde, selon les plus récentes données des Nations unies. Par ailleurs, le Niger dépend des importations du Nigeria pour la fourniture de jusqu’à 90 % de son électricité, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.
premier ministre en exil
Les sanctions pourraient être désastreuses et le Niger doit trouver une solution pour les éviter, a déclaré dimanche le premier ministre du pays, Ouhoumoudou Mahamadou, à Radio France Internationale (RFI). M. Mahamadou était à l’étranger au moment du putsch et il n’a pas pu rentrer.
« Le Niger est un pays continental, un pays enclavé, a-t-il dit à RFI. Donc, lorsqu’on dit qu’il y a embargo, fermeture des frontières terrestres, fermeture des frontières aériennes, c’est extrêmement difficile pour les populations.
« Bien que cela reste une menace et une action improbable, les conséquences sur les civils d’une telle approche seraient catastrophiques si les putschistes choisissaient la confrontation », a estimé Rida Lyammouri, chercheur principal au « Policy Center for the New South », un groupe de réflexion établi au Maroc.
Le bloc des 15 pays de la CEDEAO a tenté en vain de restaurer les démocraties dans des pays où l’armée avait pris le pouvoir ces dernières années.
Dans les années 1990, la CEDEAO est ainsi intervenue au Libéria pendant sa guerre civile. En 2017, elle est intervenue en Gambie pour empêcher le prédécesseur du nouveau président, Yahya Jammeh, de perturber la passation du pouvoir. Environ 7000 soldats du Ghana, du Nigeria et du Sénégal sont entrés, selon l’Observatoire mondial, un organisme qui fournit des analyses sur les questions de paix et de sécurité.
Si ce bloc régional utilise la force, cela pourrait déclencher des violences non seulement entre les forces du Niger et de la CEDEAO, mais aussi entre les civils qui soutiennent le coup d’État et ceux qui s’y opposent, selon des analystes nigériens.
M. Lyammouri ne croit pas par ailleurs qu’une « intervention militaire va se produire, en raison de la violence qui pourrait se déclencher ».
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a félicité dimanche les dirigeants de la CEDEAO pour leur « défense de l’ordre constitutionnel au Niger », après l’annonce des sanctions. Il s’est joint au bloc pour demander la libération immédiate du président Bazoum et de sa famille.
Pendant ce temps, la Russie a salué le coup d’État au Niger, s’emparant du sentiment anti-occidental dans le pays qui a précédé la prise de contrôle militaire.
Mme Abrahamsen croit que le Canada semble adopter la bonne approche en soutenant les groupes africains dans leur réponse à la crise, comme en tirant parti des sanctions.
« Il est important de signaler aux autres putschistes potentiels que la vie ne se poursuivra pas sans interruption si vous renversez des gouvernements démocratiquement élus. Il devrait donc y avoir des sanctions, avance-t-elle. Sinon, les coups d’État pourraient bien être contagieux. »
Source: La presse