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Un mystérieux milliardaire chinois. Un manoir à Dorval. Des allégations d’ingérence étrangère dans les élections fédérales. Un don substantiel à la Fondation Pierre Elliott Trudeau dont on cherche le véritable auteur et, surtout, sa motivation. Vous êtes un peu perdu dans tous les rebondissements de cette saga entre Pékin et Ottawa ? Suivez le guide.
C’est quoi, la Fondation Pierre Elliott Trudeau ?
La Fondation Pierre Elliott Trudeau est un organisme de bienfaisance non partisan qui offre des programmes de bourses doctorales, de mentorat et de fellowship. Elle a été fondée en 2001 à la mémoire de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau. En 2002, elle reçoit 125 millions de dollars du gouvernement fédéral comme fonds de démarrage. Justin Trudeau a toujours affirmé qu’il ne se mêlait plus des affaires de la fondation, qui porte le nom de son père, depuis qu’il est à la tête du Parti libéral du Canada. Un échange de courriels obtenu par La Presse suggère toutefois le contraire – nous y reviendrons.
Pourquoi fait-elle l’objet d’une controverse ?
Le cœur de l’affaire remonte à 2016. Il concerne un don de 200 000 $ annoncé par un milliardaire chinois à la Fondation Pierre Elliott Trudeau. La contribution avait fait les manchettes à l’époque, mais elle a refait surface en février dernier, lorsque le Globe and Mail a révélé un lien potentiel avec Pékin. Selon une source de sécurité nationale qui relatait des informations interceptées par le Service canadien du renseignement de sécurité, le richissime homme d’affaires Zhang Bin aurait reçu l’ordre d’un diplomate chinois de faire un don d’une valeur de 1 million de dollars à l’organisme, avec la promesse qu’il serait remboursé. En fin de compte, la Fondation Pierre Elliott Trudeau n’a reçu que 140 000 $. Un don de 800 000 $ a aussi été fait à la faculté de droit de l’Université de Montréal.
140 000 $ ont suffi à mettre le feu aux poudres ?
Il faut rappeler le contexte. Le premier ministre Justin Trudeau est soumis depuis quelques semaines à une pression constante pour qu’une enquête indépendante fasse la lumière sur les tentatives d’ingérence de la Chine dans les élections de 2019 et de 2021. Selon les allégations qui circulent, les libéraux auraient bénéficié de l’intervention politique de Pékin dans les résultats des dernières élections. D’après le Globe and Mail, des diplomates chinois en poste au Canada auraient notamment tenté de décourager la diaspora chinoise de voter pour certains élus conservateurs. Dans un énième rebondissement, des documents obtenus par La Presse révélaient vendredi qu’une association supervisée par Pékin était bel et bien derrière le chèque versé à la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
Attendez, on ne parle donc plus d’un milliardaire chinois ?
En fait, Zhang Bin est aussi président de la China Cultural Industry Association (CCIA), une organisation « approuvée par le Conseil d’État de Pékin » et « supervisée par le ministère de la Culture » chinois, selon son site web. Les deux premiers versements de 70 000 $ chacun ont été faits à la Fondation Pierre Elliott Trudeau par la CCIA. Le reçu fiscal délivré par l’organisme était toutefois au nom d’Aigle d’or du millénaire international, l’entreprise de Zhang Bin. Quant au don fait à l’Université de Montréal, il provenait d’un autre milliardaire membre de la CCIA : Niu Gensheng. Début mars, la Fondation Pierre Elliott Trudeau a annoncé qu’elle rembourserait le don litigieux. Après avoir peiné à le retourner, elle a finalement remboursé la somme totale de 140 000 $ à Aigle d’or du millénaire international, dont le siège social se trouve dans un domaine désert, à Dorval.
Qui a démissionné cette semaine et pourquoi ?
Huit membres du conseil d’administration ont présenté leur démission lundi soir à la fondation, ainsi que quatre membres de la direction, dont celle qui était présidente-directrice générale, Pascale Fournier. Ils estimaient que les membres qui siégeaient déjà au C.A. en 2016, au moment du don, devaient se récuser totalement pour éviter d’interférer dans une enquête indépendante. Or, ces derniers auraient refusé de le faire. Contrairement à ce qu’affirme le communiqué, qui attribue la situation à la « politisation du dossier », c’est plutôt cette « crise éthique » de gouvernance qui a mené à l’éclatement du C.A. Les trois membres du C.A. qui restent à la fondation, les avocats Edward Johnson, Peter Sahlas et Bruce McNiven, font tous partie du groupe qui était présent au moment du don en 2016.
Comment a réagi le cabinet du premier ministre ?
Justin Trudeau a répété jeudi qu’il ne s’impliquait plus dans les affaires de la fondation depuis 10 ans. Or, La Presse a obtenu un échange de courriels datant de 2016 entre la directrice générale de l’organisme de l’époque et une employée clé du bureau du premier ministre. Cette dernière réclamait des détails sur le « don chinois », cinq mois après la signature du contrat de donation. Peu après la révélation du Globe and Mail, Justin Trudeau a confié le mandat de rapporteur spécial sur l’ingérence chinoise à David Johnston, ex-membre de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, qui doit notamment déterminer s’il doit y avoir une enquête publique dans le dossier de l’ingérence étrangère. Le premier ministre a réitéré sa confiance en lui, mercredi, mais aux yeux de l’opposition, l’ensemble de la situation révèle une curieuse proximité entre le Parti libéral du Canada et Pékin.
Source: La presse