Le rapprochement entre le Maroc et Israël : état des lieux et perspectives d’avenir

25 novembre 2021
Le rapprochement entre le Maroc et Israël : état des lieux et perspectives d’avenir

Assahafa.com

 

Avant de parler des relations entre les deux Etats, il est important de rappeler l’histoire des Maures (arabes) et des Juifs (sépharades) d’Espagne. Le destin de deux peuples ancré dans la Mémoire collective des deux peuples en dépit du conflit au Proche Orient. Deux entités anthropologiques et religieuses qui ont cohabité de plus de mille ans, d’abord en Andalousie, puis au Maroc, et enfin en Israël. La notion de « Cousins » ou d’enfants d’Abraham est plus qu’une réalité théologique ou mythologique, mais politique et juridique. La  normalisation  des relations entre les deux pays n’est qu’une réhabilitation d’une vérité historique et d’une justice mémorielle.

Les principales dates qui balisent cette fusion entre ces deux peuples

1492 : Deux peuples, deux religions en terres Chrétiennes (l’Andalousie). Les deux entités ont été victimes de la première tentative de déportation par les catholiques vers les Amériques. La Reine Isabella a donné son accord pour déporter les musulmans et les juifs vers les Amériques. L’église s’est opposée pour ne pas faire du nouveau monde une nouvelle aire musulmane ou juive.

1492: Deux peuples, deux religions victimes de crimes contre l’Humanité. Des persécutions, des assassinats par milliers, au nom du dogme de l’inquisition. Puis, l’expulsion massive ou l’épuration ethnico-religieuse pour éloigner les deux communautés vers le Maroc. Selon l’historien  espagnole, Juan Mendés Rodriguez, prés de 70 000 morts brulés aux buchés pour avoir refusé de se convertir au christianisme, et, prés de 650 000 expulsés vers le Maroc entre 1492 et 1497.

1497-1912: Une présence significative et loyale des juifs au Maroc entre assimilation  différenciée, intégration totale et allégeances aux Sultans des diverses dynasties. Les juifs marocains n’ont jamais été tentés par le Séparatisme. Loyauté vers le Sultan en dépit du début de la colonisation française du Maroc. Egalement, les juifs ont refusé toutes formes de collaboration avec le Résident Général de la France. Feu Mohamed Va refusé de leur faire porter l’étoile jaune. Un ancrage dans l’ensemble du Royaume, avec des présences significatives dans les grands pôles urbains du Maroc précolonial (Fès, Meknès, Rabat, Casablanca, Safi, Essaouira, Tanger, Bejaâd). Mais aussi dans le Tafilalet, Tinghir, sauf au Sahara. On estime à 80 000 juifs marocains, domiciliés à Casablanca en 1930.

Les juifs marocains ont été connu pour leurs activités dans le commerce, la bijouterie, la médecine et plus particulièrement la traduction (Tarjama, d’où le nom de famille Torjman (Traducteur).  L’organisation  et le financement du Culte étaient confiés au Grand Rabin du Maroc par Dahir (Décret) du Sultan. Les juifs marocains ont été connu pour leurs activités dans le commerce, la bijouterie, la médecine et plus particulièrement la traduction (Tarjama, d’où le nom de famille Torjman (Traducteur).L’organisation  et le financement du Culte étaient confiés au Grand Rabin du Maroc par Dahir (Décret) du Sultan.

1926-1930 : Refus d’un statut juridique hybride de la citoyenneté. Dans les correspondances préliminaires du Maréchal Lyautey, Le Résident Général de France à Rabat proposa au Ministre des Affaires Indigènes, la reproduction du Décret de Crémieux attribué aux juifs d’Algérie. Les 280 000 juifs marocains, répertoriés par l’administration coloniale ont  refusé le dit décret  par fidélité et allégeance aux Sultans du Royaume Chérifien et en accord avec les autorités religieuses israélites au Maroc. Chaque début de la Hijra ou du calendrier Hébraïque, les juifs du Maroc faisaient brandir sur les portes des synagogues (L’adoration de Dieu et fidélité au Sultan).

1941-1944: Le Maroc comme refuge pour fuir le Régime de Vichy. Selon les Historiens du Protectorat français au Maroc, entre 10 000 et 15 000 juifs français ou espagnoles ont fuit l’Europe, pour ne pas subir le triste sort de leur frères, exterminés dans les camps de l’Allemagne Nazie. Selon les mêmes sources, Pétain a demandé au Sultan Sidi Mohamed Ben Youssef la rafle et l’envoi de 30 000 juifs marocains par bateau en France, ce que le Sultan a catégoriquement refusé.

1943: La Conférence d’Anfa à Casablanca, un juif marocain, nommé Moshé Hayot fut le traducteur secret du Sultan Mohamed V «Torjmane Soltane », sous le nom de code « Daniel ». Il parlait l’arabe, le français, l’anglais, l’hébreu et le tamazight.

1960-1970: La Déchirure pour partir pour rejoindre  le jeune Etat Hébreu naissant. Le traumatisme de la Shoah, la Guerre d’Algérie, la montée du Panarabisme de Nasser et la solidarité avec le peuple d’Israël… autant d’éléments qui expliquent l’émigration des juifs marocains vers le nouveau Foyer. Sur les dix millions de marocains en 1960, on comptait 230 000 sujets de Sa Majesté de confession juive. A partir de 1961, entre 3000 et 4000 départs chaque mois du Maroc vers Israël, via la France. Ce fut le début d’une tragédie, d’un déracinement brutal et d’un racisme de la part des élites juives Ashkénazes.  L’émigration des juifs marocains vers Israël s’est déroulée en trois grandes séquences historiques: La Qadima, à partir de 1961, une organisation sioniste installée au Maroc, basée à El Jadida, avait pour mission d’exfiltrer clandestinement les juifs du Maroc vers Israël. La Misgéret, avec l’accord tacite du Maroc, un réseau du Mossad pour l’auto défense et l’émigration a pu faciliter le départ des juifs marocains du port de Nador vers le sud de la France. La Yakhin, avec l’accord de Feu Hassan II, des milliers de juifs marocains ont pu regagner Israël.

1977: Les relations secrètes entre les deux pays pour la paix au Proche Orient, par la première rencontre secrète entre Moshé Dayan et le conseiller politique d’Anouar Sadate a eu lieu à Rabat sous la supervision de Feu Hassan II pour définir le format politique d’une paix entre l’Egypte et Israël.

1980-1988: La coopération  militaire secrète entre les deux pays par la construction du Mur de Défense (2720 kms) durant la guerre avec l’organisation séparatiste du Front du Polisario. Egalement une assistance technique par la vente des systèmes de radars anti missiles.

1986: Le Maroc dans le rôle de médiateur pour la paix qui s’est traduit par la première visite officielle d’un premier ministre israélien au Maroc, Feu Shimon Perez pour le lancement des premières négociations secrètes avec l’OLP de Yasser Arafat et pour la  préparation des négociations du sommet de Madrid quand Feu Itzhak Shamir fut le premier ministre d’Israël.

1992: Ifrane, au Maroc pour préparer les accords d’Oslo sous forme d’une rencontre secrète entre des membres de l’OLP et des diplomates israéliens pour relancer la paix qui ont abouti en 1993 par la signature des accord d’Oslo.

1998: La pré-normalisation des relations diplomatiques. Les deux pays déclarent officiellement l’ouverture à Rabat et à Tel Aviv de bureaux de liaison, soulevant un tôlé général des pays arabes et de l’axe du refus (L’Algérie-la Syrie- le Yémen- le Liban –l’Iraq).

1999: Décès du Roi Feu Hassan II et l’émotion et l’onde de choc en Israël. Des grandes funérailles aux quelles ont assisté des grands chefs d’Etats, dont Clinton, Bouteflika, Arafat, Chirac et Yhoud Barak, le premier ministre israélien pour rendre hommage à un grand Pacemaker.

2000: Le Maroc  victime collatéral de la guerre de Gaza. La guerre éclate à Gaza entre l’organisation Hamas et l’armée israélienne, créant une onde de choc dans l’opinion arabe et marocaine. Sa Majesté, Mohamed VI décide la fermeture des deux bureaux de liaison dans les deux capitales. Cependant les liens ne sont pas, pour autant, rompus entre les deux Etats.

2011-2015: Contenir à distance la menace de l’Iran et du Hizbollah à travers une coopération étroite entre les services secrets et du renseignement marocains et israéliens pour contenir les mouvances islamistes durant le Printemps Arabe. La cogestion secrète de la menace iranienne et celle du Hizbollah sont également un axe stratégique de  la coopération entre les deux pays.

2020-2021: Normalisation des relations et consolidation des perspectives nouvelles, consolidées par la visite des ministres des affaires étrangères et plus tard de celui de la défense au Maroc.

 Pourquoi cette normalisation se distingue-t-elle de celle des autres pays arabes ayant normalisé avec Israël?

Le Maroc est un vieil Etat-Nation millénaire. Le Maroc est l’une des plus anciennes et modernes monarchies arabes. Le Maroc est le premier pays au monde  ayant reconnu l’indépendance des USA en 1776. Dans son rapport au judaïsme, le Maroc est une exception arabe au regard de sa diaspora installée en Israël et qui compte prés d’un million de juifs marocains, citoyens de l’Etat Hébreux. Le Maroc a rendu d’énormes services politiques pour les Palestiniens. Le Maroc a été désigné par la conférence des Etats Islamiques d’être à la tête du Comité Al Qods (Le comité de Jérusalem). Le Sultan, Feu Sidi Mohamed Ben Youssef fut promu au rang des Justes: la plus haute distinction que décerne Israël à ceux ou celles qui ont sauvé des juifs pendant la guerre mondiale. Sa Majesté, le Roi, Feu Hassan II est  respecté et considéré comme un Ami arabe d’Israël. Enfin, Sa Majesté Mohamed VI a eu le courage politique et historique de normaliser définitivement les relations avec Israël.

Le Futur : Sur le plan géopolitique et politique, les deux pays ont désormais des ennemis en communs

L’Axe du mal, constitué de l’Iran Chiite, du Régime sanguinaire de la Syrie, de l’Organisation terroriste du Hizbollah et du régime militaire haineux de l’Algérie. Les deux Etats sont dans le viseur des Organisations terroristes et des mouvances islamistes radicales (Al Qaida, Daech, le Polisario, le Jihad islamique en Palestine…). Le Hizbollah qui menace la sécurité d’Israël à ses Frontières et menace le Maroc par l’envoi de conseillers militaires à Tindouf pour former les milices du Polisario aux techniques des tunnels, avec la bénédiction de l’Algérie L’Iran travaille sur un programme nucléaire pour une apocalypse au Moyen-Orient et contre l’existence de l’Etat d’Israël. Plus récemment,  L’Algérie menace le Maroc de recourir à la guerre. Elle considère également Israël parmi ses trois ennemis mortels : (Israël- Le Maroc –La France).

Les Perspectives et la Coopération

Pour renforcer les perspectives d’une relation durable, pérenne et basée sur une Mémoire du passé, un présent éclairci et un futur bénéfique pour nos deux pays, il faut bâtir cette relation sur cinq déterminants politiques irréversibles: passer d’une normalisation timide à une relation assumée et politiquement irréversible par l’ouverture des ambassades dans les deux pays, se soustraire de la temporalité politique des régime arabes qui considèrent Israël comme un ennemi et non comme un partenaire pour faire la paix des braves,  prendre conscience que nous avons des ennemis en commun qui cherchent à nous détruire, œuvrer ensemble pour la création de deux Etats (Israël-Palestine) viables qui vivent dans la paix et la sécurité et, enfin,   œuvrer et repenser le statut de Jérusalem loin des questions de souveraineté. C’est la ville de paix, de Salam et de chalom.

Les Axes de Coopération à renforcer

Encourager les jumelages des villes des deux pays comme levier d’échanges et de développement, la Prospection pour assurer des réserves en eaux pour développer une agriculture durable face au changement climatique, soutenir l’intégration d’Israël dans le continent africain pour l’aide au développement, renforcer le partenariat universitaire entre les deux pays et la recherche scientifique, investir ensemble dans les énergies renouvelables et la prospection du gaz naturel, Transfert des technologies nouvelles au Maroc, renforcement de la coopération militaire, de l’armement et du renseignement pour contrer les menaces qui nous sont communes, transfert de la technologie du nucléaire civil au profit du Maroc pour assurer son indépendance énergétique, création d’un marché commun entre les Emirats Arabes Unis, Israël, le Maroc, l’Egypte et la Jordanie, Une médiation conjointe pour régler le contentieux entre l’Egypte et l’Ethiopie. Enfin et surtout, relancer le processus des négociations entre la Palestine et Israël.

Les relations multidimensionnelles entre le Maroc et Israël ont tracé un long sillon pour bâtir une alliance stratégique face aux menaces géopolitiques régionales. Le temps politique et stratégique impose aux deux États alliés d’accélérer l’ouverture des ambassades et de sortir de cette politique, de petits pas, sans culpabiliser ou attendre la fameuse bénédiction des pays rabes qui n’a rien proposé pour soustraire le Proche-Orient à sa systémique et encore moins aux palestiniens, désormais objets politico-médiatique pour la consommation intérieure des peuples arabes qui veulent en finir avec ce contentieux qui n’a qu’assez duré.

Le contexte international et géopolitique ne cesse de se faire et de défaire. Le Maroc doit faire valoir ses intérêts, sa sécurité nationale et son développement économique. Mais, il doit également s’affranchir des dogmes idéologiques et des postures arabes qui continuent de nier l’existence de l’État d’Israël qui existe juridiquement, politiquement et militairement depuis plus de soixante-dix ans. Ce même État est doté de la bombe atomique, alors que les pays arabes continuent d’importer des armes, à coup de milliards de dollars, sans parvenir à un équilibre en termes des rapports de force dans la région.

 

Dr. Youssef CHIHEB

Université Paris  Nord Sorbonne

Spécialiste en Géostratégie et Développement International

Directeur de Recherche

Centre Français de Recherche sur le Renseignement

Analyste Politique chez France 24 à Paris

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