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Moulay Hicham se distingue, en dernière analyse, par un suivi attentif des changements et des spasmes qui secouent le monde arabe. Au plan méthodologique, dira-t-on, l’on ne peut que s’interroger sur ses inclinations qui finissent par aspirer quelque peu le recul et l’humilité de ses analyses.
Hicham Alaoui – C’est Ainsi Qu’il Se Présente Aujourd’hui – Vient De Publier Et De Mettre En Ligne Un Ouvrage De Quelque 250 Pages Avec Ce Titre: « 25 Ans, 25 Ans D’idées – Une Génération Pour Changer Le Monde Arabe ». Le Premier Réflexe Qui Vient À L’esprit Est Évidemment Celui De L’intérêt. Mais Le Rendu Ne Correspond Pas À L’affichage.
L’on n’a droit en effet qu’à un recueil de la vingtaine d’articles qu’il a livrés au mensuel « Le Monde diplomatique » depuis un quart de siècle. La seule nouveauté ? La préface de cinq pages où il s’emploie à expliquer le bien-fondé de cette opération éditoriale. Et au passage, il rend un hommage appuyé à ce support.
Ainsi, il lui sait gré d’être » un foyer intellectuel qui (lui) a permis de devenir non seulement un essayiste mais aussi un collaborateur ». Et d’en rajouter même une couche en insistant sur le fait que ce journal lui a permis de construire son « indépendance non seulement en tant que penseur universitaire, mais aussi en tant que personne ». Passons… Pour beaucoup d’autres, le mensuel dirigé par Ignacio Ramonet reste dogmatique, sectaire, enfourchant depuis des décennies un héritage d’une mouvance d’un courant antilibéral, tiers-mondiste et aujourd’hui altermondialiste. Repassons…
Quelle citoyenneté arabe ?
Pour ce qui est des contributions de l’auteur, il y aurait évidemment beaucoup à dire. Sa préoccupation centrale est celle-ci : la citoyenneté dans le monde arabe. Vaste périmètre, il faut bien en convenir. Une problématique majeure à laquelle il s’est colleté. L’on ne peut douter de son engagement à cet égard, sauf à préciser qu’elle lui permet aussi d’enjamber le Maroc, avec ce qu’il a déclaré et écrit sur son parcours personnel relaté dans son livre « Journal d’un prince maudit – Demain le Maroc » (2011). Appréhender les changements de tous ordres dans l’aire arabe : voilà sa préoccupation. A ses yeux, une certaine rhétorique – ce qu’il appelle un trope – ne voit le Moyen-Orient que sous un angle par trop autoritaire, despotique même. Or, c’est plus complexe.
Quant à l’accolement de l’Islam et de la démocratie, voilà une équation non encore résolue; elle nourrit les tenants d’une extrême-droite en Europe par une instrumentalisation électoraliste avec ses pendants identitaires ; elle est également prise en compte par des régimes autoritaires arabes tant pour se légitimer comme garants des idéaux des laïcs et des progressistes à l’endroit de l’Occident en invoquant le « contrairement », de l’islamisme radical. Autre thème : la Palestine. Il doute de la réelle volonté d’Israël et des Etats-Unis en faveur d’une solution de deux Etats viables sur la base des accords d’Oslo de 1993; en même temps, il met en cause la responsabilité des dirigeants palestiniens pour leur « factionnalisme » et leur « recherche de rente » ne pouvant générer un véritable pluralisme politique… Revenant sur le printemps arabe dans ses contributions depuis une dizaine d’années, il a un temps été lyrique en le considérant comme un séisme historique charriant la démocratisation et une réarticulation régionale. Il fait ainsi référence à des soulèvements au Soudan, en Algérie, au Liban et en Irak pour soutenir qu’une contestation perdure. Mais ces Etats – et d’autres- ont pu ou su faire face et réguler autrement le maintien des régimes en place. La contestation qui nourrit la dynamique sociale ? Elle a ses limites et un lieu géométrique finalement bien réduit. Reste un dernier thème : celui des aspects et des intérêts géostratégiques liés à l’hypothèse d’un changement dans le monde arabe. Cet espace s’insère en effet dans un autre schéma où de grandes puissances (Etats-Unis, Russie) continuent de peser de tout leur poids sur la dialectique passablement loqueteuse de cette région, sans oublier d’autres comme l’Iran et la Turquie.
Algérie- Maroc « opacité décisionnelle »
Dans tout ce recueil, le Maroc n’est pas esquivé : tant s’en faut. Par touches successives, sont évoqués un certain nombre de problèmes. Sur la nouvelle Constitution de 2011, il estime qu’elle a sans doute « calmé la colère populaire, mais l’absence de réformes en profondeur annonce des lendemains troublés» (janvier 2013). Trois ans plus tard, il fait un étonnant parallèle entre l’Algérie et… le Maroc. Référence est faite ici au pouvoir algérien qui » est en train de calquer sur le makhzen marocain, ce réseau élitaire complexe qui entoure le palais royal « ; ou encore, à l’inverse « le Maroc (qui) se rapproche de son voisin en termes d’opacité décisionnelle ».
Enfin, sur l’Islam dans le Royaume, il relève la diplomatie religieuse avec une vision d’un Islam modéré sur un axe nord-sud, dans le continent et pour le contrôle politique de la diaspora en Europe . Une approche tournant le dos à l’utopie islamiste compromise au demeurant par l’exercice du pouvoir, «exception faite de la Tunisie » comme il l’écrivait en novembre 2018 – depuis trois ans, tel n’est plus le cas… Au passage, il met en cause une sorte de dédoublement officiel marocain qui d’un côté projette à l’étranger une image de « modération » alors que règne au dedans » la bigoterie d’Etat » se proposant de « protéger la morale publique » à travers les conseils islamiques. Il en tire cette conclusion : celle d’un renforcement des « fondements de l’autoritarisme traditionnel ».
Désenchantement
Moulay Hicham se distingue, en dernière analyse, par un suivi attentif des changements et des spasmes qui secouent le monde arabe. Au plan méthodologique, dira-t-on, l’on ne peut que s’interroger sur ses inclinations qui finissent par aspirer quelque peu le recul et l’humilité de ses analyses. Souvent, il est prédictif, voire imprécateur, travaillant surtout sur une hypothèse catastrophiste sans cesse infirmée par les réalités. Dans cette même ligne, il n’a pu que constater la résilience d’Etats autoritaires qui ont appris les conditions de leur stabilité et dans certains cas de leur gestion du statu quo. Une sorte d’ingénierie s’est installée dans ces régimes : elle a conduit à mettre sur pied une « boite à outils » opératoire. Celle-ci couvre une large gamme, de l’éradication du mouvement islamiste – comme en Egypte avec Sissi – jusqu’à la répression dans d’autres pays en passant par la marginalisation politique et électorale – comme le 8 septembre dernier … au Maroc.
Du désenchantement chez lui ? Sûrement. De l’amertume aussi ? Peut-être. Changer le monde arabe en une génération avec vingt-cinq ans d’idées pour paraphraser le titre de ce recueil ? C’est ce qu’il appelle encore de ses vœux. Les peuples arabes sont entrés dans une nouvelle séquence historique mais sans savoir véritablement laquelle, par à-coups, de manière heurtée. Une rupture ? Une continuité ? Un « mix » variable des deux, laissant sur le bas-côté une intelligibilité conséquence des processus en marche.
Source: Quid