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Le ministère des Affaires indiennes était bien au fait de cas de mauvais traitements, d’agressions et de violences physiques dans les pensionnats pour Autochtones de 1968 à 1974, à l’époque où Jean Chrétien en était le ministre, alors qu’il a soutenu dimanche n’en avoir jamais été informé.
Des archives gouvernementales montrent en effet que le ministère a reçu plusieurs rapports à cette époque – dont un qui était directement adressé au ministre Chrétien – faisant état des mauvais traitements infligés aux enfants autochtones, alors forcés de fréquenter ces pensionnats.
Dimanche, sur le plateau de Tout le monde en parle, l’ex-premier ministre libéral a pourtant été catégorique. On n’a jamais mentionné ce problème-là quand j’étais ministre. Jamais
, a-t-il répondu à une question de l’animateur Guy A. Lepage, qui portait spécifiquement sur les abus physiques et sexuels, les mauvais traitements et les disparitions qui y ont eu cours pendant des décennies dans les pensionnats.
Or, une recherche rapide dans les archives gouvernementales révèle que, pendant le mandat de M. Chrétien, le ministère des Affaires indiennes a reçu plusieurs rapports signalant des abus à travers le pays.
Agressions sexuelles, membres cassés, armes en classe…
Au moins quatre de ceux-là faisant état d’allégations d’abus et de violence physique envers des enfants du pensionnat Sainte-Anne de Fort Albany, dans le Nord de l’Ontario. Dans une lettre manuscrite datée du 28 décembre 1968, adressée directement au ministre Jean Chrétien, un enseignant évoque notamment des inquiétudes quant à la manière dont est géré le pensionnat par l’Église catholique.
Les plaintes que nous avons reçues sont principalement centrées sur l’attitude des gens de la mission envers les Autochtones, qui est selon moi préjudiciable
, écrit l’enseignant. Aucune réponse du ministère à cette lettre ne figure dans les archives.
Un autre rapport concernant ce même pensionnat fait état en 1971 d’un enseignant qui conservait des armes et des munitions dans sa classe pour faire peur aux élèves. Ce même enseignant était aussi visé par des allégations selon lesquelles il aurait battu un élève et en aurait frappé un autre.
Deux autres rapports visaient le pensionnat anglican de La Tuque, un établissement québécois situé à environ 130 kilomètres au nord de Shawinigan, la ville natale de M. Chrétien. En 1970, un employé y a été suspendu après que quatre anciens élèves se furent rendus à la police pour dénoncer les agressions sexuelles dont ils disaient avoir été victimes. Les archives ne mentionnent pas ce qu’il est advenu de la plainte à la police.
Un an plus tard, en 1971, le gouvernement fédéral y a même lancé une enquête concernant des allégations selon lesquelles un ancien employé aurait maltraité des enfants, notamment en coupant les cheveux d’élèves en guise de punition pour désobéissance
, selon le récit publié sur le site Internet du Centre national pour la vérité et la réconciliation.
Un autre rapport visant cette fois le pensionnat catholique Lebret, en Saskatchewan, montre qu’en 1973, une plainte a été formulée par un des grands-parents de deux élèves. La plainte indique qu’un surveillant avait cassé le bras d’une fillette et en avait ri
et que deux ou trois surveillants étaient cruels envers les élèves
.
Que Chrétien n’ait pas su est inimaginable
Avant même que Jean Chrétien soit nommé ministre, l’échec du système des pensionnats pour Autochtones était largement admis et discuté publiquement, notamment dans les médias.
Sous le mandat de Jean Chrétien, le gouvernement fédéral avait même commencé à prendre en charge directement les opérations de ces institutions, dont la majorité était jusque-là dirigée par l’église.
Que Chrétien n’ait pas su l’existence de ces abus est inimaginable.
Si la situation était connue dans tout le ministère, elle était certainement connue dans son bureau aussi
, soutient l’historien John Milloy, professeur émérite à l’Université Trent, et auteur du livre A National Crime, portant sur le sujet.
En 1967, avant même le début du mandat de M. Chrétien, le Conseil canadien du bien-être social avait publié un rapport faisant état de l’échec du système des écoles résidentielles et des pensionnats, une conclusion avec laquelle le gouvernement fédéral s’était à l’époque dit en accord, selon le livre de M. Milloy.
C’est vraiment terrible d’atteindre un âge aussi vénérable et d’être toujours consumé par tous ces mensonges, de ne ressentir aucune honte pour les torts causés à travers le pays
, a pour sa part réagi Mike Cachagee, un survivant des pensionnats du Nord de l’Ontario et membre de la Première Nation crie de Chapleau, déçu par l’attitude de M. Chrétien.
C’est triste. Ça nous montre à quel point le colonialisme est bien enraciné.
Jean Chrétien n’a pas répondu à la demande d’entrevue formulée par CBC.
Source: Radio-Canada