ASSAHAFA.COM
Dans sa dernière édition, l’émission ‘Adraoui Live’ en direct de Montréal, au Canada, a abordé la question afghane à l’aune du retrait des États-Unis d’Amérique de ce pays.
Abderahmane Adraoui, directeur du site d’actualités Assahafa.com et animateur du débat, a posé une question toute simple : Qu’est ce qui se passe en Afghanistan ?
Après avoir rappelé, en préambule de la visioconférence, que le gouvernement du Canada a décidé, sans préavis, la fermeture de son espace aérien aux avions en provenance du Maroc, ce qui a mis dans une mauvaise situation près de quinze mille personnes restées bloquées au Maroc, Abderrahmane Adraoui a ouvert les débats en donnant la parole à ses invités.
Younès Ait Yassine, correspondant d’Al Jazeera en Afghanistan, qui n’a pas pu intervenir en direct en raison de la situation tendue à Kaboul, a participé au débat à travers un témoignage vidéo en anglais pré-enregistré. Pour lui, les Talibans ont eu comme un effet boule de neige dans leur marche vers Kabul. Après la chute de Kandahar, de Helmond et de Mazar Sharif, où de violents combats ont eu lieu, les forces des Talibans n’ont mis que quelques heures pour entrer dans la capitale après une faible résistance. Il semble qu’il y a eu un arrangement pour qu’il n’y ait pas de combats de rues dans la capitale, qui est surpeuplée. Selon lui, les Talibans ne voulaient pas négocier avec le gouvernement d’Ashraf Ghani. Ils ont discuté avec les chefs de tribus pour les rassurer et leur donner des garanties concernant la sécurité des personnes. Le deuxième jour, le capitale est devenue la destination de plusieurs milliers de personnes qui voulaient fuir les Talibans. Ce rush est géré comme on peut par les Talibans et les Américains (ndlr : les États-Unis ont définitivement quitté l’Afghanistan lundi soir).
Pour sa part, Michel Boudrias, député fédéral de Terrebonne et vétéran de la guerre d’Afghanistan, a parlé en homme de terrain. Pour lui, il est évident «que certaines questions sont légitimes comme l’utilité de la mort de soldats canadiens.» «En mon nom personnel, dit-il, et au nom d’anciens combattants, nous avons réalisé un travail colossal.» Michel Boudrias estime que l’occident a réussi sur le plan militaire mais qu’il a échoué politiquement. «La grande preuve est [la situation chaotique à] l’aéroport de Kaboul. Il suffisait d’une volonté politique pour 100 jours de plus de présence étrangère. Aujourd’hui, tout l’appareil étatique est aux mains des Talibans et on nourrit des appréhensions pour les personnes qui ont collaboré directement ou indirectement avec le gouvernement canadienne.» Selon le député canadien, il y a extrêmement d’inquiétudes pour ce personnel, notamment les interprètes.
«Mon personnel et moi, nous avons tenté de contacter les différents ministères à propos de ces gens-là, mais nous n’avons eu que des réceptionnistes à cause des élections dans les provinces. Nous avons dressé une liste assez étoffée avec des organisations civiles pour avoir une traçabilité de ces gens-là pour les demandes d’asile, de refuge… Je suis écœuré à l’idée que des vies auraient pu être sauvées et que le Canada n’ait pas assuré son leadership. Il aurait pu faire mieux. L’urgence est de trouver des solutions aux personnes menacées.» Avant de conclure : «L’Afghanistan a de grands ratés en matière de gestion publique. Les Talibans n’ont pas qualité pour cela».
De son côté, Francesco Cavatorta, professeur titulaire de sciences politiques à l’Université Laval, a estimé que le monde avait les yeux rivés sur ce qui se passe en Afghanistan car «il cristallise l’échec de la politique occidentale.» Pour lui, la volonté de créer un Afghanistan moderne s’est révélée un échec presque total. Plein de monde fait le parallèle avec le Vietnam. Au bout de vingt ans de guerre, les Talibans sont revenus au pouvoir, en tant que nouveaux maîtres de Kaboul. Dans son analyse, Francesco Cavatorta avant que cette défaite a commencé depuis le début de l’intervention occidentale. Tout en rappelant le rôle fondamental joué par le Qatar dans les négociations entre Américains et Talibans. Le Qatar qui a cherché et réussi à mettre sa diplomatie, son argent, ses médias pour jouer le médiateur. «Je pense qu’il va essayer de devenir la force politique qui concilie entre les opinions des Talibans et les autres parties, notamment entre les pays prêts à recevoir les réfugiés afghans» explique le professeur Cavatorta,
Pour le professeur, «les enjeux sécuritaires deviendront importants dans le futur notamment en ce qui concerne le terrorisme. Pour les occidentaux, il sera plus facile de nouer des contacts avec les Talibans via le Qatar. Quant à l’Arabie Saoudite, elle a signé des contrats avec la Russie, et les États-Unis veulent la punir. Je ne pense pas qu’il faille craindre un froid dans les relations entre les deux pays.»
Analysant ce point, le Pr. Francesco Cavatorta explique que «depuis le début du siècle (21e), la Chine et la Russie ont gagné en stature et essaient de se positionner en Afghanistan. L’Arabie saoudite se rend compte aujourd’hui qu’il y a d’autres acteurs influents car la donne a changé. C’est une nouveauté aussi pour les Occidentaux.»
D’autre part, cette prise de pouvoir par les Talibans peut conduire à une guerre civile en Afghanistan car certains groupes refusent cette situation, notamment dans le nord du pays. «Cela impliquera aussi indirectement des pays étrangers. Les pays occidentaux peuvent aussi opter pour la guerre des drones pour rester engagés. Autant dire que le futur sera dur pour la population.»
«Le seul espoir de stabilité dans le pays est que les Talibans, conscients de leur infériorité en nombre par rapport à la population, composent avec les autres acteurs et modèrent leurs positions.»
Avant de céder la parole à son collègue le
Pr. Christian Desîlets, de l’Université Laval, le Pr. Francesco Cavatorta n’a pas oublié l’invitation faite, avant l’épisode COVID, au Prince Moulay Hicham du Maroc pour animer une conférence à l’université Laval. Le Pr. Cavatorta a promis que cela sera fait une fois que les conditions sanitaires le permettront.
Le professeur Christian Desîlets, chercheur au Département d’information et de communication de l’université Laval, a expliqué que «la couverture par les médias des pays en dehors de l’Afghanistan, se faisait à travers leurs propres prismes, car ils ne connaissent pas le pays.» Pour lui, «la diversité des médias n’apporte pas forcément une diversité de contenus et de discours.» L’examen des médias, explique-t-il, donne le son de cloche des dirigeants d’un pays. Les médias n’ont pas le pouvoir de cadrer les choses. «Ils nous montrent ce qu’ils veulent montrer en fonction de leur ligne éditoriale et de la position de leurs gouvernements.»
Le fait que les médias disent tous que la prise de pouvoir des Talibans était une surprise, veut dire que l’on ne doit pas penser autre chose. Avec du recul, on réalise que cette chute du gouvernement afghan était prévisible. Les termes utilisés par les médias ont aussi leur importance comme ‘La chute de Kaboul’ ou ´La victoire des Talibans’. Tout est question de cadrage et de conceptualisation.
Pour clore les débats, Zakaria Garti, cadre dans une institution financière internationale, en direct de Casablanca, au Maroc, s’est intéressé à «l’aspect économique occulté par les médias alors que plusieurs pays sont intéressés par les richesses de l’Afghanistan.» Selon l’expert marocain, «on n’en parle pas beaucoup car il est occulté par l’aspect politique et sécuritaire.»
Pour l’analyste économique, «il ne faut pas perdre de vue que l’Afghanistan est un pays potentiellement riche notamment dans le domaine des minerais surtout ceux qui sont rares comme le lithium, qualifié d’essence du futur.» Ce métal, utilisé dans les batteries et les voitures électriques, constitue des réserves de quelque 1 000 milliards de dollars, soit cinquante ans de PIB actuel. Le premier fabricant et exploitant de lithium au monde est la Chine qui cherche naturellement à normaliser ses relations avec les Talibans.
Avec les économies mondiales qui passent en mode «transition énergétique» rend les métaux rares d’une grande importance et valeur, explique l’expert. Et la Chine se trouve en pole position pour aller les exploiter. Pour cela, Pékin «procèdera comme en Afrique, elle prêtera l’argent en contrepartie de garanties sur les métaux rares (…) La Chine n’a pas la même approche que les États-Unis.»
Pragmatiques et intelligents, les Talibans aujourd’hui «se tournent vers la Chine et l’Iran» malgré les hostilités d’ordre idéologique et doctrinal.
D’un autre côté, dans le Golfe, l’Arabie Saoudite a réalisé que les États-Unis n’étaient plus les protecteurs exclusifs de la région. Washington peur de désengager sans crier gare et laisser tomber ses allies. C’est pour cela que Ryadh a signé des contrats d’armement avec la Russie.
Les Émirats arabes unis suivront inéluctablement le royaume saoudien. Ces pays coordonneront aussi avec la Russie dans le domaine du pétrole, car une crise économique n’est pas loin surtout si l’Amérique quitte le Moyen-Orient. La leçon de la chute de Kaboul est à retenir par la plupart des capitales de la région.
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