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Dans le cadre des programmes menés dans le domaine du développement économique et social, et du Middle East Program, le Wilson Center de Washington D.C. a organisé le 7 avril courant un webinaire destiné à analyser les tenants et aboutissants de l’ouvrage The Political Economy of Education in the Arab World coécrit par Moulay Hicham Alaoui et l’éminent professeur Robert Springborg. Malgré des dépenses substantielles consacrées à l’éducation et un soutien solide à la réforme, tant en interne que par des donateurs extérieurs, la qualité de l’éducation dans de nombreux pays arabes, sinon la plupart, reste faible. Ce qui soulève la question: pourquoi?
Les auteurs tentent de trouver des réponses dans les économies politiques autoritaires qui façonnent l’architecture de la gouvernance nationale dans la région.
Présentant des études sur l’Afrique du Nord et la région du Golfe, ainsi que des perspectives comparatives d’Asie et d’Amérique latine, ils montrent clairement que les efforts visant à améliorer l’éducation – et ainsi à renforcer le développement économique et à élargir la base de la citoyenneté sur laquelle des systèmes de gouvernance plus stables et efficaces peut être construit – échouera jusqu’à ce que les élites dirigeantes ne soient plus en mesure d’accroître leur pouvoir politique et économique au détriment de l’intérêt général.
Pour présenter cet ouvrage, le Prince Moulay Hicham était l’invité d’un webinaire organisé par le Wilson Center, rattaché au Smithsonian Institution et considéré parmi les dix meilleurs think tanks dans le monde.
Les experts participant à la visioconférence, Merissa Khurma, professeure à l’université de Georgetown, Lindsay Benstead, chercheur-associée au Wilson Center, Ishac Diwan, professeur à Paris School of Economics et Safaa El Kogali, de la Banque mondiale, ont mis l’accent sur l’augmentation exponentielle du nombre des bénéficiaires des programmes d’éducation dans le monde arabe.
Merissa Khurma, modératrice du débat, a noté que cela n’a pas eu un grand impact sur l’économie, en ce sens que le système éducatif n’a pas su produire les ressources humaines qualifiées dont ont besoin les opérateurs économiques. De même, l’éducation n’a pas eu l’impact espéré sur le degré de démocratie dans les pays de la région MENA.
Pourquoi les réformes éducatives n’ont pas eu l’impact espéré par les gouvernants ? Pourquoi le lien de causalité entre éducation et ressources qualifiées n’a pas eu lieu ?
Le prince Moulay Hicham Alaoui, en tant qu’expert en processus et changements démocratiques, a décortiqué les différents axes de l’ouvrage The Political Economy of Education in the Arab World dont il est co-auteur.
Cet ouvrage a été dicté par la contradiction entre les énormes dépenses étatiques dans les pays de la région pour l’éducation et leur faible rendement et retombées économiques. Dans ces pays, les retombées restent faibles.
Au Maroc par exemple, a souligné Moulay Hicham Alaoui, et durant deux décennies, de vastes projets ont été lancés à tous les niveaux éducatifs, mais les résultats obtenus sont décevants.
Dans les pays arabes, la majorité des systèmes éducatifs sont des usines qui produisent des diplômés qui ne peuvent pas intégrer le marché du travail avec des inégalités entre filières et entre genres.
C’est pour cela que le prince Moulay Hicham propose de réinventer les systèmes éducatifs à tous les niveaux car il y a un divorce entre les ressources humaines produites par les systèmes éducatifs et les besoins des entreprises sur le marché. C’est pour cela aussi que la Banque mondiale, dans ses différents rapports, se base sur la nature organique des systèmes éducatifs et non pas sur leurs aspects matériels ou pédagogiques, rappelle Moulay Hicham Alaoui.
Le problème n’est pas celui d’un manque de ressources ou d’expertise explique Moulay Hicham, mais davantage dans le modèle éducatif adopté car il n’a pas seulement des retombées sociales, mais également politiques : «l’éducation doit permettre de compter sur soi, de développer un sens critique et permettre l’émancipation humaine du citoyen. C’est la base d’une implication politique, sociale et économique qui aura des impacts certains sur les sociétés concernées.»
Or, analyse brillamment le prince Moulay Hicham, «ces finalités interpellent les gouvernants qui se verront remis en question de manière existentielle. Dans la majorité des pays arabes, les systèmes éducatifs, outre leurs finalités classiques, permettent de garder le contrôle politique de la société en véhiculant dans ces systèmes des idées, des symboles, des idéologies et éléments identitaires. Nous continuons de voir cela dans les sociétés arabes.»
A un certain niveau, explique-t-il, «il me semble que les gouvernants ont besoin des systèmes éducatifs pour servir ces finalités, mais ne peuvent permettre de développer le sens de la critique qui les menace. Dans un sens, certains pays veillent à garder un système éducatif défaillant, veulent le développer, mais ne sont pas clairs sur les sacrifices nécessaires à consentir à cette fin.»
Selon le prince, l’essence du problème réside dans le genre des savoirs que nous voulons véhiculer dans les systèmes éducatifs car des citoyens avertis, dotés du sens critique, peuvent remettre en cause et menacer le contrat social qui légitime ces États.
C’est une bonne raison pour laquelle plusieurs régimes maintiennent leurs systèmes éducatifs en l’état, sans changements qualitatifs notables, surtout après les craintes suscitées par le Printemps arabe. L’émancipation et l’émergence de citoyens critiques menacent l’autorité.
Les gouvernements peuvent accepter des réformes qui serviront le développement social et économique, mais ne permettront pas l’émergence d’une conscience politique qui risque de menacer leur existence explique le prince Moulay Hicham.
D’un côté, chaque régime politique a besoin d’une main-d’oeuvre qualifiée, mais d’un autre côté craint pour son autorité et son pouvoir et ne sait pas comment concilier entre les deux contraintes. C’est pour cela que les gouvernants craignent les retombées d’un réel système éducatif produisant des citoyens dotés du sens critique et civique.
Les gouvernements peuvent clamer leur volonté de réforme, accepter les aides des donateurs et bailleurs de fonds et tolérer certains changements, mais elles ne permettront pas leur remise en cause, laisse entendre Moulay Hicham. C’est pour cela que des réformes profondes sont nécessaires.
Où vont donc ces systèmes éducatifs ?
L’ouvrage du prince Moulay Hicham The Political Economy of Education in the Arab World ne se veut pas comme un manuel de réforme des systèmes éducatifs, mais comme une lecture nouvelle des problématiques posées qui dépasse le cadre classique de la pensée qui a prévalu jusqu’ici dans le monde arabe.
Sans prétendre à aucun moment détenir la science infuse et les solutions idoines pour ce problème, les contributeurs de cette étude espèrent avoir apporté quelques éléments de réponse. Considérant que l’Etat n’est pas le seul acteur concerné par le système éducatif au Maroc, certains centres d’opposition luttent contre une réelle réforme de ce dernier, car elle générera des centres d’opposition au pouvoir.
Sur ce volet, Moulay Hicham a rappelé qu’au Maroc des années 1980, la philosophie et les sciences politiques étaient des branches « hors-la-loi » dans les universités marocaines, car elles développaient une conscience politique critique ! «L’éducation est capable de remettre en cause le contrat social qui a présidé à l’émergence du Maroc indépendant.» Cela dit, une ouverture même réduite dans le système éducatif peut s’élargir par la suite à coups d’accumulations.
Les participants à cette visioconférence ont relevé qu’il y a des règles, des lois non codifiées qui font en sorte que ces systèmes restent en l’état et servent en premier à la pérennité du régime en ne développant ni conscience politique, ni sens critique.
Ces régimes sont en proie à une lutte contre eux-mêmes : ils veulent se développer, mais ne peuvent permettre leur remise en question. Un choix cornélien auquel ils doivent apporter une réponse.
LIVE NOW: @wilsoncentermep's @MerissaKhurma moderates a panel with @HichamAlaouiSW, @lindsaybenstead, @ishacdiwan, @Safaa_elkogali, and Dr. Springborg on MENA's education.
— The Wilson Center (@TheWilsonCenter) April 7, 2021