Jean-Louis Roy : Le Maroc a fait preuve de ‘diplomatie fine’

14 septembre 2020
Jean-Louis Roy : Le Maroc a fait preuve de ‘diplomatie fine’

 

Assahafa.fr

Dans son édition du 13 septembre 2020, Abderrahmane Adraoui a reçu dans l’émission AdraouiLive, Jean-Louis Roy, président-directeur général de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et ex-directeur du journal canadien « Le Devoir ». Cet ancien diplomate de 79 ans et toujours la verve, a beaucoup travaillé sur l’Afrique, notamment quand il était, durant 8 ans, Secrétaire général de l’Agence intergouvernementale de la francophonie.

Spécialiste des questions africaines, Jean-Louis Roy porte un regard particulier sur le dossier Libyen, un grand sujet d’actualité. Pour le Président d’honneur au conseil consultatif du forum Afrique Expansion, la Libye « est devenue un souk d’armes, une bombe à retardement pas seulement pour les Libyens qui ont vécu six ans de guerre civile (…) mais ce conflit a eu de grandes répercussions sur les pays africains subsahariens comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et le Nigéria à travers le Cameroun. Nous ne sommes pas dans un conflit local, malheureux, c’est un conflit qui dure, qui met en présence de grandes puissances » analyse-t-il. 

Pour le président du Partenariat international, la Libye attise les convoitises car c’est l’un des plus grands pays africains, le premier producteur africain d’hydrocarbures (gaz) et le 9ème au monde.

 

 

Un conflit continental

Le pays dispose effectivement de richesses convoitées et, à la fin de 2010, la façon dont on posait le problème de la Libye et dont on a cherché à se débarrasser de Kadhafi montrait qu’on voulait contrecarrer ses projets de monnaie africaine : «Les gens pensent que la Libye n’a pas d’importance. Quand on regarde la carte, on se rend compte que ses voisins sont le Soudan, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte et le Tchad. C’est un conflit qui doit se terminer. On ne parle pas de paix car il y a beaucoup de peines. Je salue les efforts du Maroc pour amener la paix en Libye avec notamment les accords de Skhirat en 2015 qui n’ont pas été respectés en raison de l’ingérence étrangère», souligné Jean-Louis Roy qui a touché de près au monde diplomatique quand il a officié à Paris, durant 4 ans, en tant que Délégué Général du Québec à Paris.

D’ailleurs, l’invité de AdraouiLive a bien de rappelé qu’en 2018, le Président du Haut conseil d’Etat libyen et le Président du Parlement se sont rencontrés à Rabat pour discuter de ce dossier et la dernière initiative du Maroc a mis autour de la même table pendant cinq jours les parties au conflit, « contrairement aux démarches onusiennes, aux initiatives égyptiennes, algériennes et tunisiennes, à la conférence de Berlin où les Libyens n’ont pas été conviés. Le dialogue politique de Bouznika a réalisé des avancées importantes. Les deux parties ont convenu de se rencontrer avant la fin du mois, ce qui est un indicateur fort» assure l’auteur de «Ma rencontre avec un continent : écrits sur l’Afrique» paru en 2012. 

Une démarche réaliste et inclusive

Interpellé par Abderrahmane Adraoui sur le désir de certaines puissances de vouloir faire perdurer ce conflit, le responsable et non moins historien canadien estime que «ce n’est pas impossible. J’espère que les forces contraires vont l’emporter. Cela n’a pas de sens. On ne réalise pas les effets dévastateurs du conflit libyen car cela touche aux pays du Sahara et du Sahel et aux pays limitrophes à l’Ouest comme le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire en tant que puissance économique et plus loin le Sénégal et la Mauritanie. On ne peut pas tabler qu’il sortira quelque chose de bon de ce conflit et de sa continuité ».

Concernant le rôle des pays maghrébins dans ce dossier et leur poids dans une éventuelle solution dans la crise libyenne, Jean-Louis Roy estime qu’un «jour ou l’autre, les pays du Maghreb devront défendre leur place dans le monde une fois unis.»

La tendance est à l’union qui fait la force

«Les plus grandes forces de négociation sont des conglomérats de forces humaines diverses, qui ont compris que leurs intérêts sont convergents. Cela ne se produira pas au Maghreb tant que cela ne prévaudra pas.» Très belle expression pour introduire un constat : «Pour le Sahara, on ne peut pas répéter inlassablement le mantra du référendum. A terme, il y aura une paix en Libye et cela amènera un apaisement au Sahara et au Sahel (…) Certes, Les choses ne sont pas simples. Elles ne l’étaient pas entre la France et l’Allemagne et pourtant (…) Les gens doivent se parler. En Algérie et en Tunisie, il doit y avoir des gens qui appuient et applaudissent l’initiative du Maroc pour amener la paix en Libye. Ils doivent vouloir l’appuyer pour que la Libye cesse d’être un pays où les droits humains sont bafoués, où les africains sont traités comme des esclaves, où des centaines de gens sont parqués et traitée comme des bêtes, tués comme des animaux » s’exclame Jean-Louis Roy qui se trouve être également Directeur de l’Observatoire mondial des droits de l’homme. Il continue dans cet élan : «Il doit y avoir des esprits intéressés par la paix et les droits et le développement en Tunisie et en Algérie qui se disent que cette initiative ne doit pas échouer car sinon ils en subiront les conséquences car c’est de leur intérêt national, régional et continental que ce cancer soit guéri.»

La ruée vers l’Afrique

Revenant sur le dialogue inter-libyen de Bouznika, l’invité suggère trois issues possibles : 1) une conférence qui peut tourner court et s’arrêter ou 2) se terminer par un communiqué froid concluant à l’échec ou 3) enfin les deux parties avancent et conviennent de continuer dans le même sillage dans le même lieu et avec un même agenda. «C’est ce qui s’est passé à Bouznika. Le partage des postes de souveraineté montre une entente en marche. Les résultats montrent que le Maroc a  trouvé les bonnes formules pour parler aux parties à l’intérieur comme à l’extérieur et à faire preuve de diplomatie durant cinq jours et cinq nuits. Ce n’est pas évident de faire converger deux parties aux opinions divergentes sans diplomatie fine.»

Sur le plan géopolitique et concernant le rôle des Emirats arabes unis et de la Turquie dans le continent, Jean-Louis Roy juge que les deux pays «ont des intérêts économiques en Afrique qu’ils n’avaient pas il y a dix ans. Toutefois, ils ne sont pas capables de faire dérailler un règlement s’il est appuyé par l’UA et par l’ONU et par la Chine. Il faut donc une campagne d’appui aux résultats du dialogue inter-libyen ».

Interrogé sur une éventuelle division de la Libye en deux Etats, le haut responsable québécois ne penche pas vers cette possibilité. «La population est limitée malgré la vaste étendue du pays. A moins que des forces étrangères investissent le terrain pour prendre le contrôle du pays et les Libyens ont intérêt à renforcer leur État et leur société civile. La tendance n’est pas à la division, mais à l’union, surtout quand on a une petite population ».

Le pari osé et réussi du Maroc

Ayant souvent séjourné au Maroc lors de ses différentes missions, Jean-Louis Roy a coécrit un livre paru en français à Dakar en février dernier, «Bienvenue en Afrique, le chantier du siècle», où il y a un chapitre dédié au royaume intitulé, «Maroc, puissance africaine.» L’auteur estime que «le Royaume a fait le choix de l’Afrique et cela s’est révélé payant. Le Maroc a parié sur l’Afrique et je pense que c’est un choix éclairé, exceptionnel, même si le chemin est étroit. C’est un grand chantier car la situation varie d’un pays à l’autre. Ce sera un pari gagnant.»

 

Aujourd’hui, ajoute-t-il, la richesse est passée de l’Ouest du globe à l’Est en Asie, en Chine, en Malaisie, en Inde, au Vietnam, en Indonésie etc. Et ces pays cherchent à être présents sur le plus grand marché du futur, l’Afrique, et suivent les pas du Maroc. D’ailleurs, Jean-Louis Roy a regretté que le Canada se soit éloigné de l’Afrique à une certaine époque et salue que son pays retrouve petit à petit une réelle politique et stratégie africaines.

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