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Il y a près de deux mois, à l’occasion du 20ème anniversaire du règne du roi Mohammed VI, deux conseillers royaux, Abdellatif Mennouni et Omar Azzimane, ont fait une déclaration à une agence de presse internationale pour annoncer que le Maroc s’orientait vers une monarchie parlementaire dans laquelle le roi ne gouvernerait pas.
À la veille du discours du Trône, que voulait dire le roi par l’intermédiaire de ses conseillers ? Qu’il prendra du recul pour laisser affaires publiques entre les mains d’un organe exécutif issu des urnes suite à des élections dans lesquelles le peuple aura choisi lui-même ses représentants?
Le message ici est clair : le roi veut céder certains pouvoirs constitutionnels et régaliens pour lesquels son défunt père Hassan II n’aurait pas hésité à envoyer en prison tout homme politique ou citoyen ordinaire réclamerait leur dévolution au Parlement.
En d’autres termes, le roi Mohammed VI a personnellement exprimé son désir de créer le climat propice à une autre phase politique dans laquelle le Maroc devrait s’engager dans l’avenir avec une nouvelle vision, de nouvelles compétences et de nouveaux hommes qui n’auraient aucun rapport ni responsabilité dans cette grande corruption qui sévit dans le pays.
Toutefois, selon les deux conseillers royaux, toute implication dans la démocratisation de la monarchie parlementaire doit être précédée par l’introduction de réformes et de changements radicaux visant à assurer une mise en œuvre appropriée et efficace de cette nouvelle forme de gouvernement au Maroc.
Et c’est justement l’essentiel de ce que à quoi le roi a appelé dans le dernier discours du Trône, quand il a donné des instructions fermes au chef du gouvernement, Saad-eddine El Otmani, pour procéder à un renouvellement réel et effectif des responsables gouvernementaux et ceux de l’administration par la proposition de nouvelles compétences jouissant de l’aptitude nécessaire et le mérite.
Le roi a choisi cette approche simple car il souhaite mettre fin à un archétype de politiciens et de fonctionnaires qui se sont infiltrés, au fil des années, dans des postes de responsabilité sans avoir une réelle efficacité, sans expérience et sans expertise.
En effet, bon nombre de ces responsables et politiciens jouissent des bienfaits de la fonction publique depuis des décennies, tout simplement par népotisme ou parce qu’appartenant à des castes en particulier.
C’est là exactement le type de responsables et de politiciens que le roi souhaite voir disparaitre de la scène politique car lui-même et le peuple ont perdu en confiance en eux. Cela signifie aussi que le roi souhaite poursuivre cette opération en droite ligne avec des décisions antérieures, notamment lorsqu’il avait désigné certains responsables de « traîtres à la patrie » et puis, dans la foulée, déchargé cinq ministres de leurs responsabilités en raison de leur mauvaise gestion des projets dans la région du Rif.
Sinon quel est l’intérêt de parler de monarchie parlementaire et d’un retrait partiel du roi dans un contexte où la vie et le sens politiques sont morts, les politiciens, les partis politiques et les syndicats vivant dans une inertie totale –à quelques exceptions près-, après qu’ils se soient repus de l’économie de rente eux, leurs conjoints, enfants et autres parents, pour ainsi se transformer parmi les personnes les plus riches du pays ?
Nous disons cela car la plupart des fortunés parmi les hommes d’affaires, les promoteurs immobiliers et autres riches commerçants devraient en réalité se trouver en prison car sans réelle histoire derrière eux et ont accumulé des richesses énormes, du jour au lendemain, à travers le vol et le pillage d’entreprises de l’Etat grâce à la connivence de certains hauts commis de l’Etat, au moment où l’on sacrifie généralement des boucs émissaires parmi les subalternes.
Sans parler bien sûr d’un autre type de mafias spécialisées dans le pillage des richesses du pays parmi des escrocs qui prétendent jouir d’une certaine proximité avec la famille royale ou faisant croire qu’ils seraient des partenaires de princes et de princesses et ce en vue de semer la terreur chez les fonctionnaires dans les administrations.
Combien de fois avons-nous tous entendu parler ou dire que des personnalités prétendaient être proches du roi alors que le souverain en personne n’a cessé d’affirmer dans plusieurs de ses discours qu’il était le roi de tous et à équidistance de ses sujets ? Le roi, qui ne favorise personne, avait même dénoncé les irresponsables qui se cachent derrière le palais parmi les hommes politiques et d’affaires.
Certes, la question de la reddition de comptes de la part de ces riches mafias n’est qu’une question de temps, car le roi est au courant de tous ces crimes financiers graves qui ont divisé les Marocains entre d’une part «une poignée chanceuse qui possède tout et qui s’est enrichi de manière obscène, et, d’autre part la majorité du peuple qui a continué de s’appauvrir », comme l’indique le discours royal.
C’est ce qui a poussé le roi Mohammed VI à poser sa question historique dans un autre discours par cette formule directe: «Je me demande avec les Marocains où est la richesse [du pays] et pourquoi tous les Marocains n’en ont-ils pas bénéficié?». Ce n’est pas en vain que le roi aborde ces lourdes questions devant les Marocains sans garantir personnellement le recouvrement de ces fonds pillés et en activant le principe constitutionnel qui engage la responsabilité par la reddition des comptes de ces mafias et de toutes les personnes impliquées dans la contribution dans ce pillage, y compris ceux qui croient être protégés ou au-dessus de la loi.
Cette série de pillages des richesses des Marocains a été menée sous le regard de tous les gouvernements et institutions élues, des parlementaires, des partis politiques et syndicats qui ont eu à gérer à gérer les affaires publiques au Maroc, en particulier au cours des vingt années de règne de Mohammed VI.
Il ne s’agit pas ici d’un acharnement contre les partis politiques, qui comptent dans leurs rangs des gens honnêtes et hautement qualifiés, mais éloignés des centres de décision et dont la marge de manœuvre est rétrécie face à l’influence et à l’appétit des apparatchiks qui contrôlent tout au sein des organes de leurs formations respectives.
En d’autres termes, nous faisons réellement face à une bande qui opère selon la logique des mafias et du crime organisé qui ont infiltré les rouages de l’administration et se sont transformés en un système autonome, une sorte de structure parallèle qui exploite la galaxie des agents administratifs, des agents d’autorité, des élus, souvent par l’exploitation des situations de besoin, de vulnérabilité, et de pauvreté.
Il n’est pas exagéré de dire que ce réseau de mafias, qui s’est transformé en un système criminel, fait malheureusement partie intégrante du système politique existant et d’une partie des institutions de l’État : il s’est élargi et constitue désormais un véritable barrage à toutes les réformes royales par le biais de ses soutiens corrompus répandus au sein du gouvernement, de l’administration et des institutions élues.
Tous ces facteurs ont entraîné la faillite de tous les plans sectoriels et, plus grave, l’échec du modèle national de développement d’un pays millénaire appelé le Maroc.
Quelle est donc la solution aujourd’hui lorsque ce blocage paralyse le pays tout entier et que les instructions royales ne sont pas prises au sérieux en ce qui concerne le renouvellement des élites et l’intégration de nouvelles compétences dans les institutions gouvernementales et administratives, comme exposé dans le dernier discours du Trône ?
Bien entendu, le roi Mohammed VI, ainsi que les Marocains, ne peuvent pas attendre indéfiniment la mise en œuvre de ces instructions royales, car la situation actuelle tant au Maroc que dans le reste du monde arabe exige non seulement d’agir vite mais aussi d’accélérer la chute de ce système de mafias et bandes organisées au sein des institutions de l’État, car tout ajournement entraverait gravement la marche de l’État et saperait le système politique légitime existant.
En d’autres termes, la solution radicale consiste aujourd’hui en le limogeage de tous ces symboles de grande corruption, et de déférer devant la justice toutes les personnes impliquées et citées dans les rapports de la Cour des Comptes et, par ailleurs, donner l’occasion aux compétences nouvelles de travailler côte à côte, dans un cadre serein et de méritocratie, avec les nombreux cadres honnêtes et intègres dont recèlent les institutions de l’État.
Mourad Borja